Design : lumière sur les femmes

 

Qu’ont en commun une lampe Tiffany, un bureau d’acier tubulaire chromé et une Chevrolet Corvette ? Ces trois objets ont été conçus par des femmes. Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) rend aujourd’hui hommage à ces créatrices de l’ombre avec l’exposition Parall(elles) : une autre histoire du design.

Emilie Laperrière

Au milieu des années 1950, General Motors a réalisé que 70 % des achats de voitures étaient influencés par les femmes. Comme l’entreprise croyait que le meilleur moyen de vendre des automobiles à des femmes était de les engager dans le processus de production, elle a recruté une équipe de femmes pour le service de design d’intérieur.

La chaise LCW a été conçue par le couple de créateurs Charles et Ray Eames.

Les véhicules signés par celles qu’on appelait les demoiselles du design ont été présentés au Salon de l’automobile féminin organisé par GM en 1958. Le seul prototype à avoir survécu, la Corvette Fancy Free, avait été conçu par Ruth Glennie. C’est ce prototype qui attend les visiteurs à l’entrée du Musée des beaux-arts de Montréal. Cette voiture vert olive était aussi la première à inclure des ceintures de sécurité rétractables.

Plus loin dans la salle d’exposition, trône la fameuse chaise LCW en bois contreplaqué moulé, qui date de la même époque. Un modèle devenu iconique qui a été conçu par le couple de créateurs Charles et Ray Eames. Le duo est mondialement connu dans l’univers du design, mais Ray est souvent présentée comme « la femme de Charles » ou comme « son assistante ».

Revisiter l’histoire

Tout comme Ray Eames, nombreuses sont les femmes en design dont le legs est occulté par l’histoire. C’est pour parler de ces femmes que le MBAM a organisé cette nouvelle exposition.

« Pendant trop longtemps, le travail des femmes en design a été oublié, occulté et même ignoré », souligne la conservatrice en chef du MBAM, Mary-Dailey Desmarais en conférence de presse.

Elle croit que plusieurs raisons expliquent ce manque de reconnaissance. Les inégalités de genre, les normes de la société patriarcale et l’accès limité à l’éducation professionnelle sont autant d’obstacles à dépasser pour mettre à l’honneur ces créatrices.

La définition même du design, qui renvoie au design industriel, à l’objet produit en série, et exclut les autres formes de création, pourrait aussi être pointée du doigt. Parall(elles) met donc de l’avant un concept de design plus élargi, qui comprend les domaines du textile, de la céramique, du verre, l’orfèvrerie, la joaillerie, le mobilier, les produits de consommation, le graphisme, la mode et le design intérieur – en plus du design industriel.

Les quelque 250 œuvres et objets pensés par des créatrices québécoises, canadiennes et américaines permettent de constater que, malgré les restrictions de leur temps, ces femmes ont néanmoins façonné le quotidien de leur entourage et, à plus grande échelle, l’univers du design.

Des créatrices méconnues

L’exposition amène le visiteur de l’époque du mouvement Arts and Crafts, au tournant du 20e siècle, jusqu’à aujourd’hui. On y voit le travail de femmes sous-représentées et souvent invisibles.  

Le public peut par exemple admirer la lampe de table Peacock conçue par Clara Driscoll pour Tiffany. Cette dernière a été à la tête du service de la taille du verre des Tiffany Studios dès 1892. Elle dirigeait une équipe de 35 femmes, surnommées les Tiffany Girls.

Le bureau en métal tubulaire et en verre de l’une des premières décoratrices d’intérieur au Canada, la Montréalaise Jeannette Meunier Biéler, fait également partie des meubles exposés.

On peut aussi constater les répercussions du mouvement de libération des femmes à la fin des années 1960 sur le monde du design. Des créatrices, comme Miriam Schapiro, et plus tard Dorothy Hafner, font de différentes formes d’artisanat domestique un outil subversif ou une stratégie féministe.

Cette exposition, présentée jusqu’au 28 mai 2023, est née de l’initiative Femmes de design du Programme Stewart pour le design moderne. Le tiers des objets présentés provient de la collection du MBAM.