Climat toxique au travail: moins de latitude pour les femmes gestionnaires
7 novembre 2022 - Les attentes envers les gestionnaires masculins et féminins sont les mêmes, révèle un sondage commandé par Premières en affaires. Pourtant, la marge de manœuvre est mince pour les gestionnaires qui doivent faire preuve de bienveillance comme de fermeté dans leurs rôles. Martine Letarte fait le point avec une analyse de notre sondage, les conclusions de la chercheure Hélène Lee-Gosselin et une entrevue avec Marie-Ève Proulx, ancienne ministre du Développement économique régional et députée de Côte-du-Sud.
Dans les dernières années, plusieurs femmes dans des postes de pouvoir ont été éclaboussées par des histoires de climat toxique au travail. Moins d’hommes, si l’on fait abstraction du mouvement #moiaussi. Se pourrait-il que nos attentes envers les hommes et les femmes soient différentes ? Voici les conclusions du sondage mené par Synopsis Recherche Marketing pour Premières en affaires.
Martine Letarte
Les attentes envers les gestionnaires masculins et féminins sont les mêmes, révèle un sondage commandé par Premières en affaires réalisé auprès de plus de 500 personnes en emploi au printemps dernier. On s’attend par exemple à ce que le supérieur immédiat, qu’il soit homme ou femme, crée un environnement de travail sain, qu’il fasse preuve d’honnêteté et de transparence, tout comme d’humilité et de tolérance. Mais le sondage indique que les employés font davantage confiance aux gestionnaires féminins pour les aspects de bienveillance, d’humanité et de souci du bien-être. Les gestionnaires masculins reçoivent pour leur part davantage de confiance en ce qui a trait à leur leadership en général et à leur capacité de faire preuve de fermeté.
Cette contradiction ne surprend en rien Hélène Lee-Gosselin, professeure au département de management de l’Université Laval qui étudie la question des femmes gestionnaires depuis la fin des années 1970. « Il est très clair que lorsqu’on demande directement à quelqu’un quels sont ses préjugés, il dira qu’il n’en a pas, mais si l’on regarde plus attentivement ses comportements, on verra apparaître des partis pris sexistes ou racistes, explique-t-elle. D’autant plus que les attentes sociales ont beaucoup évolué depuis quelques décennies et qu’on prétend être une société égalitaire. On est donc plus sophistiqué pour masquer ses préjugés. »
Sondage | Les employé·e·s font confiance aux gestionnaires féminins pour leur bienveillance. Les gestionnaires masculins sont crédités pour leur leadership en général et pour leur capacité à faire preuve de fermeté.
Le modèle du leader idéal
Hélène Lee-Gosselin mentionne qu’on sait depuis plus de 40 ans que les attributs que l’on associe traditionnellement aux hommes, comme être tournés vers l’action et gouvernés par l’ambition, sont assez proches de ceux qu’on associe traditionnellement aux gestionnaires efficaces. À l’inverse, ceux qu’on associe traditionnellement aux femmes, comme prendre soin et être à l’écoute, sont présents dans ces modèles. « Ces préjugés envers les femmes sont liés à la façon dont on les socialise : elles doivent s’occuper des enfants, des personnes vieillissantes, de l’harmonie dans le couple, dans la famille ou dans le réseau, explique-t-elle. Une femme qui ne se colle pas au modèle traditionnel risque d’être évaluée très négativement, car elle enfreint les normes de genres. »
Selon les perceptions sociales, les femmes s’occupent des enfants, des personnes vieillissantes, de l’harmonie dans le couple, dans la famille ou dans le réseau.
Les femmes gestionnaires ont donc peu de marge de manœuvre. « Elles doivent satisfaire à la fois les attentes envers le genre féminin et celles du leader, explique Hélène Lee-Gosselin. Elles doivent non seulement être des gestionnaires efficaces, mais aussi être d’agréable compagnie. Les recherches ont montré qu’on n’a pas ce genre d’attentes envers les hommes. »
Marie-Ève Proulx, ancienne ministre du Développement économique régional et députée de Côte-du-Sud, ne s’est pas représentée aux dernières élections parce qu’elle a été visée par des allégations de harcèlement psychologique en mai 2021. Si elle insiste sur le fait que les deux plaintes déposées contre elle à l’Assemblée nationale ont été jugées non fondées, elle reconnaît avoir pu manquer de patience. « Bien sûr que lorsqu’on devient ministre, on est stressé et on peut mettre de la pression autour de nous, affirme-t-elle. Je l’ai fait, mais toujours dans le respect. Or, la croyance est forte que les femmes doivent toujours être à l’écoute, ne jamais dire un mot plus haut que l’autre. Pourtant, un homme qui joue son rôle de leader avec fermeté, c’est bien vu.»
Femmes en position de pouvoir : « C’est difficile. Et il ne faut pas oublier que c’est encore nouveau » – Marie-Ève Proulx, ancienne ministre du Développement économique régional et députée de Côte-du-Sud.
Valoriser les comportements traditionnellement féminins
Les modèles évoluent quand même, d’après Hélène Lee-Gosselin, notamment avec l’arrivée de l’approche du leadership transformationnel dans les années 1990. « Parmi les caractéristiques associées à un bon leader, on trouve maintenant la sollicitude, l’ouverture, la capacité de travailler en coopération, indique-t-elle. Ce n’était pas là il y a 30 ans. Des études montrent qu’un homme qui fait preuve de ces qualités sera vu comme un meilleur leader, un leader moderne. C’est différent pour les femmes, parce qu’on a ces attentes de façon implicite. »
Marie-Ève Proulx, qui a été la première femme élue dans la circonscription de Côte-du-Sud, croit qu’on devrait mieux accompagner les femmes dans les postes de pouvoir. « Il faut du respect, de la communication, de l’ouverture, mais en même temps, de la fermeté, énumère-t-elle. Les femmes sont habituées à chercher des compromis. De plus, elles ne se font pas toujours confiance. Mais c’est important d’avoir des principes clairs et d’y tenir : on ne peut pas toujours essayer de s’ajuster. C’est difficile. Et il ne faut pas oublier que c’est encore nouveau dans bien des secteurs que des femmes obtiennent des rôles de pouvoir, alors il faut de l’adaptation de part et d’autre. »