Éloge du désir décomplexé

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PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ

Chaque année, je vois passer, sans trop savoir qu’en penser, une étrange journée dans le calendrier, que l’on voudrait apparemment sans maquillage. Quand j’y porte un peu attention, je constate qu’elle suscite quelques passions. Certaines femmes en chantent les vertus, d’autres s’en défient, et pendant ce temps, les hommes pensent à autre chose, en ne se sentant pas trop concerné par le sujet du jour. Je dis les hommes. À tout le moins, je parle des hommes comme moi, hétéros à l’ancienne, qui ne se sont jamais questionnés sur leur identité sexuelle, et pour qui le maquillage appartient globalement au monde féminin. En disant cela, je crains les injures. On m’accusera d’être rétrograde, peut-être même machiste. Notre monde est ainsi fait: qui ne cherche pas à donner le signal qu’il est à la fine pointe du progressisme identitaire finira toujours par se faire traiter de réactionnaire.

Et pourtant, en lisant Baudelaire, il y a quelques jours, cette journée m’est revenue à l’esprit. Je suis tombé sur son texte Éloge du maquillage. Le poète s’en prend à ceux qui célèbrent la nature sans la culture, comme si la véritable beauté du monde surgissait lorsqu’on la dévêtait de sa part humaine. Baudelaire célèbre plutôt les vertus de la civilisation, dans laquelle il veut voir le travail de l’être humain pour transfigurer sa condition, pour l’améliorer, à partir d’une certaine idée du bien et du beau. Baudelaire se fait ainsi l’avocat de la «haute spiritualité de la toilette». C’est pour cela qu’il célébrait aussi la mode, en écrivant que «la mode doit donc être considérée comme un symptôme du goût de l’idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre et d’immonde, (…) comme un essai permanent et successif de réformation de la nature».

Si je me suis réfugié derrière un poète, c’est pour dire une banalité qui peut aujourd’hui valoir une bien mauvaise réputation à qui la rappelle: il y a une telle chose que l’éternel féminin, qui s’exprime notamment dans le désir de plaire, de séduire, de subjuguer par sa beauté, son charme, son intelligence. Mais on voudrait censurer cette aspiration. Que la femme veuille plaire à l’homme est perçu comme une marque d’aliénation, qu’il faudrait désormais combattre. On veut y voir le symbole d’une civilisation machiste et patriarcale qu’il faudrait combattre et faire tomber, alors qu’elle s’est complètement effondrée depuis une cinquantaine d’années. Une nouvelle morale du désir s’impose: elle aseptise les êtres et les destine à une sexualité hygiénique, sans mystère, et probablement encadrée par un comité éthique bienpensant. Au terme de la révolution sexuelle des années 1960, on trouve une société renouant avec la sensualité de vieilles dames puritaines.

On culpabilise le désir des hommes pour les femmes et des femmes pour les hommes. C’est le rêve d’une humanité nouvelle, purgée du désir, affranchie de l’ambiguïté. Mais un monde où les sexes ne voudraient plus se plaire serait triste comme un froid désert.