LES FEMMES ET LE NUMÉRIQUE
Techno au féminin, Les filles et le code, Pixelles, URelles, Ladies Learning Code : autant de mouvements et d’événements créés pour inciter les femmes à s’intéresser davantage au numérique et à la technologie. Pourquoi tant d’initiatives par et pour les femmes ? Parce qu’en 2019, il leur est encore difficile de percer le milieu et d’obtenir une reconnaissance de leurs pairs dans ce type de carrières.
Fannie Dionne a rencontré des intervenantes clés du monde du code. Voici le résultat de son enquête.
Quand il est question de génie au sens de Albert Einstein ou de Steve Jobs, ce n’est pas le nom d’une femme qui vient spontanément à l’esprit. Des siècles après les découvertes de Marie Curie, la sous-représentation des femmes dans le monde des sciences et des technologies est un enjeu préoccupant. Absence de programmes de mentorat, difficile conciliation travail-famille dans un domaine où la performance est un étalon or : autant de facteurs qui conditionnent un constat d’échec avec très peu de modèles féminins pour inspirer les nouvelles générations.
Une réalité ancrée dans un héritage de perceptions
Ces états de fait expliquent que les femmes ne composent qu’une minorité parmi les employés des domaines du numérique et de la technologie. Une étude publiée par TECHNO Compétences en 2017 indique que les femmes en TI ne représentent que 20 % des employés de ce secteur. Idem pour le secteur des jeux vidéo. Un secteur d’avenir qui reste l’apanage des hommes. Selon l’étude, le Québec ne fait pas exception dans cette tendance qui est similaire dans les pays anglo-saxons tout comme en France. Cet écart, qui change selon les pays, « est entre autres dû au contexte social», selon Doina Precup, professeure agrégée à l’École d’informatique de l’Université McGill, qui dirige DeepMind, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle.
Au commencement de l’ère du numérique, les outils informatiques étaient manipulés par les femmes. L’informatique était alors liée au travail de secrétariat. Tout change en 1984, quand les ordinateurs entrent dans les foyers. Ce sont les hommes, ciblés à grand renfort de publicité, qui en font un usage de plus en plus extensif. Dans les années 1990, les campagnes s’attaquent agressivement aux garçons; avec les jeux vidéo, ils s’initient très tôt à l’informatique. Et les filles ? Elles s’y intéressent souvent plus tard, initiées par quelqu’un de leur entourage. L’effet de ce ciblage se fait encore sentir aujourd’hui. « Pour recruter des femmes dans l’industrie du jeu vidéo, il faut d’abord trouver des filles qui se sentent les bienvenues dans cet univers et ces métiers, mais aussi dans les modèles que véhiculent les médias», explique Julie Marchiori, de chez Ubisoft.
“Être une femme, en techno, c’est poser un geste politique qui vient avec son lot de responsabilités”
CASSIE RHÉAUME
Agir pour changer les codes
Les choses commencent à changer. Le succès de l’événement Techno au féminin, organisé par Concertation Montréal en octobre 2018 a réuni de nombreuses jeunes femmes qui poursuivent des études dans ce domaine. Comment se passent les cours dans ce cursus très masculin ? Selon Mélanie Boisvert et Corinne Pulgar, étudiantes en informatique à l’UQAM, le nombre de filles par classe varie selon les programmes, tout comme le nombre de remarques sexistes qui ponctuent certaines conversations. Il existe encore bien des stéréotypes quant à la place des femmes dans le numérique et de la technologie. Certaines pionnières se font un devoir de faire bouger les choses et de déconstruire les discours teintés de préjugés. Chloé Freslon de URelles, Cassie L. Rhéaume, de Lighthouse Labs, Marie-Philippe Gill (Les Ingénieuses, Girlknowstech) et Rachelle Houde-Simard, de Impack Finance ont pris les devants. La technologie n’intéresse pas les filles ? Elles sont moins bonnes ? Balivernes, d’après ces expertes. « C’est une question d’éducation, de chance et d’occasions », résume Cassie Rhéaume au micro de l’événement. C’est un fait. Comme dans tout autre domaine d’études, les jeunes femmes ne manquent pas de compétences pour s’engager dans les filières du techno. Et leur participation est nécessaire au bon cheminement de nos sociétés. Les femmes sont généralement plus portées à mettre de l’avant des projets à forte valeur ajoutée en matière d’impact sociétal, comme le développement de plateformes de microcrédit ou d’intelligence artificielle basées sur le bien commun. Inclure une plus grande diversité de talents, et les femmes, dans le développement de technologies permet de couvrir les angles morts de l’industrie et donc de la faire progresser.
Melissa, Cassie, Chloé, Julie : Les nouveaux modèles
Selon Cassie Rhéaume, « être une femme en techno, c’est poser un geste politique qui vient avec son lot de responsabilités », mais « quel meilleur moyen que la technologie pour donner du pouvoir aux femmes ? ». Dans ce monde d’hommes, certaines ont fait leur place et commencent à attirer l’attention des médias. Melissa Sariffodeen a lancé l’initiative Ladies Learning Code à Toronto en 2011 pour promouvoir la littératie numérique auprès des femmes. Ses ateliers ont suscité un tel engouement, que le projet s’est décliné en plusieurs chapitres. Cassie Rhéaume a récemment ouvert une version francophone de ces formations à Montréal. La journaliste Chloé Freslon utilise pour sa part les armes du Web pour pallier la sous-représentation des femmes dans l’industrie. Après avoir lancé le blogue URelles, elle s’est associée à d’autres femmes pour diffuser son message au moyen d’un podcast éponyme. Chloé et son équipe préparent en ce moment une série Web. Côté jeux vidéo, Julie Marchiori a fait ses preuves dans le design narratif, mais aussi dans la conception de niveaux (métier encore plus traditionnellement masculin) en travaillant sur des productions à succès comme Assassin’s Creed et Far Cry.
Femmes et Informatique
Le secteur des technologies de l’information et des communications du Grand Montréal emploie près de 120 000 personnes dans 5 000 entreprises et organisations reliées à ce secteur de pointe. Les revenus de l’exploitation du secteur des technologies de l’information sont estimés à près de 25 milliards de dollars pour la région du grand Montréal dont l’activité économique totale se chiffre à 119 milliards de dollars en 2017. Stratégiques et inhérentes à plusieurs étapes de production de la richesse, les télécommunications entrent depuis les années 1990 dans la composition du travail de nombreuses petites et moyennes entreprises qui contribuent à faire évoluer des champs d’activités aussi variés que la fabrication, le développement de logiciels, les services informatiques, les médias, l’audiovisuel et l’art numérique. L’augmentation du nombre de femmes dans l’univers des technologies est mise de l’avant par ceux et celles qui veulent contribuer à favoriser leur place dans un domaine d’exploitation économique porteur et rentable. Avec raison, car la place de l’infonuagique et de l’intelligence artificielles, deux secteurs encore très masculins, semble vouée à une croissance dont les femmes ne sauraient être écartées.
TECHNO MONTRÉAL, PROFILS SECTORIELS DE LA VILLE DE MONTRÉAL