Noël, mot tabou

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PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ

Peu à peu, Noël s’en vient. Noël, c’est-à-dire cette fête que, d’une année à l’autre, nous peinons de plus en plus à assumer, au point même où il ne faudrait plus la nommer et l’aseptiser complètement. Joyeuses fêtes, disent les uns. Joyeuses fêtes de fin d’année, disent les autres. On a déjà entendu il y a quelques années : joyeux décembre ! C’était pousser la bêtise très loin, pour ne pas dire beaucoup trop loin.

On le sait, pour certains – puisque nous vivons dans un monde qu’ils aiment dire pluriel et ouvert à la diversité –, la moindre référence chrétienne dans le calendrier passe pour discriminatoire à l’endroit de ceux qui ne s’y reconnaissent pas. Si on accorde un traitement particulier à Noël, pourquoi n’en ferait-on pas autant pour toutes les traditions du monde qui se sont installées chez nous au fil des dernières décennies?

Ceux qui avancent cet argument se croient bien malins, et d’une imparable logique. Ils nous montrent que l’égalitarisme peut rendre fou. Ils témoignent, surtout, de leur mécompréhension de ce qu’est une société. Ils s’enferment dans un présent autoréférentiel. Ils oublient l’histoire et mutilent l’identité d’un peuple en le condamnant à se sentir étranger chez lui, selon la fumeuse doctrine selon laquelle nous serions tous des immigrants.

Ils contribuent ainsi à engendrer la crispation identitaire qu’ils disent redouter, car c’est lorsqu’un peuple se sent méprisé dans son identité qu’il se braque. Est-ce vraiment en arrachant les racines d’un peuple qu’on le fait progresser? Est-ce qu’on ne risque pas plutôt, ainsi, d’assécher spirituellement, culturellement et politiquement ceux qui le forment? L’être humain est-il vraiment appelé à s’émanciper en déconstruisant le monde qu’il a reçu en héritage? Il ne faut pas croire que cette manie nous soit exclusive. Elle frappe les États-Unis depuis un bon moment. Elle nous vient de là d’ailleurs. On y parle de la Christmas War. Elle frappe aussi la France, mais ce vieux pays laïc est aussi un vieux pays chrétien qui, de manière complexe mais bien réelle, est parvenu à faire cohabiter ses héritages qui sont en fait deux facettes d’une même civilisation. C’est le principe des contradictions fécondes.

Il n’en demeure pas moins que la novlangue diversitaire progresse. C’est elle qui ne cesse de modifier le langage et de condamner ou de censurer certains mots que l’on décrète offensants pour la sensibilité des uns et des autres, surtout lorsqu’ils se présentent comme des groupes victimaires, accumulant grief par-dessus grief contre la civilisation occidentale. C’est elle qui pousse vers cette nouvelle lubie qu’est l’écriture pseudo-inclusive. Cette novlangue diversitaire étouffe le réel et elle pousse à la colère, car s’impose de plus en plus l’impression qu’on ne peut plus rien dire. Chacun se sent surveillé par la police du langage qui guette les arrière-pensées révélant une soumission contrariée ou, pire encore, une insoumission aux dogmes de la diversité. Comme le dit la chanson, on ne peut plus rien dire. La tolérance postmoderne, quoi qu’on en dise, est un dogme répressif.