Droit de la famille et patrimoine aujourd'hui
Suzanne Pringle a plaidé en Cour suprême en faveur de « Éric » contre « Lola ». Le célèbre jugement a débouté la plaignante dans sa demande d’être considérée juridiquement comme une femme mariée au moment où la séparation du couple prenait le chemin des tribunaux. L’avocate qui dirige aujourd’hui une pratique spécialisée en droit de la famille fait le point sur l’évolution du tissu social et la nécessaire transformation de la pratique juridique.
La première avocate en droit de la famille à recevoir le prix Plaideur de l'année, nous explique comment se vit sa pratique à l’ère de la COVID-19. Elle s’ouvre aussi sur les apprentissages et les évolutions du droit de la famille quarante-trois ans après sa dernière réforme.
Par Marie Grégoire
La dernière réforme du droit de la famille date de 1980. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui?
Plus de 60 % des enfants naissent hors mariage dans les familles québécoises. Le tissu social a changé. Nous vivons aujourd’hui des réalités nouvelles et la parentalité se pluralise. Le code civil prévoit que les parents exercent ensemble l’autorité parentale, qu’ils soient séparés ou non. Dans les faits, cette disposition est difficilement praticable en cas de conflits. Avec le déconfinement, le manque de dispositions claires va se poser avec encore plus d’acuité. Si l’un des deux parents n’est pas d’accord pour renvoyer son enfant à l’école, comment trancher? La prérogative ne doit pas revenir au parent qui s’arroge l’ascendance dans un rapport autoritaire avec l’autre conjoint. Je plaide en ce moment certains dossiers en visio-conférence. La justice doit absolument se moderniser. Cette crise est révélatrice. En matière de droit de la famille, nos codes de procédures nous plongent dans l’âge de pierre.
Quelles sont les réformes les plus pressantes ?
Il faut en finir avec la « justice de couloirs ». Depuis 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme des codes de procédures, on prévoit que les parties doivent s’entendre et chercher une solution avant de plaider leur cause devant les tribunaux. Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier, a mis en évidence ces enjeux. Les délais engorgent le système et certaines procédures devraient être systématisées par des professionnels juridiques. Dans les dossiers de droit de la famille, le partage des biens pourrait se faire par arbitrage et non au tribunal. Dans certains dossiers, les avocats ne contactent pas leurs collègues et tentent une approche avec la partie adverse dans les corridors du Palais de justice. C’est déplorable, dans la mesure où les conjoints devront rester des parents ensemble pendant de longues années. Dès qu’un couple se sépare, on lui recommande la médiation. Cette pratique commence à devenir courante. Mais dans le cas des unions de fait, quand les conjoints se lancent dans une vie à deux, ils ne connaissent pas leurs droits et obligations.
Qu’est ce qui peut changer dès aujourd’hui?
La dernière réforme visait à reconnaître une certaine égalité des parties dans les questions de séparation et à normaliser davantage les unions de fait. Les conventions conclues entre les conjoints ont, depuis cette date, valeur exécutoire devant les tribunaux. En matière de jurisprudence, la Cour suprême a rendu sa décision dans le dossier « Eric » contre « Lola » en janvier 2013. Alain Roy a déposé un rapport sur la réforme du droit de la famille en juin 2015. Depuis, même si le gouvernement Legault s’est montré favorable à faire évoluer le droit de la famille, les discussions restent peu publicisées sur ce dossier. Il faudrait que les jeunes soient sensibilisés, très tôt, aux effets patrimoniaux d’une union et qu’ils connaissent leurs droits. Hommes, femmes, et peu importe la géométrie de l’union : c’est un enjeu qui ne connaît pas de genre dans le contexte social actuel.