L’amour des beaux objets

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ @mbockcote

Je me permets d’abord une confession : rien ne me semble plus absurde que de se rendre au centre commercial simplement pour y passer le temps, dans l’espoir d’y trouver quelque chose, sans trop savoir ce qu’on y cherche. Comment ne pas avoir l’impression, lorsqu’on y met les pieds, d’avoir devant soi une inquiétante armée de zombies ? La consommation dans le monde d’aujourd’hui me semble relever de la névrose collective. L’homme qui s’y perd cherche à combler un vide, et à donner, le temps de quelques achats, un sens à son existence. Il se laisse convaincre que s’il achète tel ou tel machin, d’un coup, son existence sera augmentée. C’est évidemment illusoire, en plus d’être frustrant, car un objet chasse l’autre et jamais la faim n’est comblée. C’est la société des objets jetables, où l’individu, plutôt que de se construire un monde qui lui ressemble, conforme à son univers intérieur, se laisse dicter ses préférences par ce que nous appelons plus ou moins paresseusement la mode. On est en droit de croire, toutefois, que notre époque a tendance à écraser le monde intérieur de chacun, pour homogénéiser les consciences en cherchant à réduire la diversité des caractères et des tempéraments à un seul modèle, qu’on pourra modeler et remodeler à souhait par les différentes techniques publicitaires. J’espère pourtant qu’on ne lira pas ici une forme de dédain d’ascète pour le monde des objets, et plus encore, des beaux objets. Car l’homme n’est pas désincarné, il n’habite pas un monde flou, insaisissable, étranger à la matière. Il a besoin autour de lui de stabilité et de beauté. Il a besoin de se construire une demeure, comme dirait le philosophe François-Xavier Bellamy. Et de ce point de vue, une authentique demeure a peu à voir avec le culte du préfabriqué. Il faut y laisser sa marque, son empreinte, comme si on devait y durer longtemps, peut-être même toujours. Ceux qui me connaissent me voient venir. Au fond de moi-même, je suis convaincu qu’une maison sans bibliothèque n’en est pas vraiment une. Je sais, je sais, nous n’avons pas tous la vocation d’habiter une demeure remplie de livres. Mais il n’en reste pas moins que dans une civilisation se respectant, les hommes et les femmes devraient être portés à construire leur bibliothèque un peu à la manière d’un musée personnel, où nous pourrions retrouver la trace de leurs passions intellectuelles et esthétiques en regardant quels livres y sont accumulés ou empilés. J’aime les beaux objets et j’aime les livres. C’est-à-dire que j’aime les la Pléiade et les ouvrages dans les belles collections. Quand j’ouvre un la Pléiade consacré à un auteur que j’estime particulièrement, j’ai presque l’impression d’ouvrir un livre de prières où me plonger, à la fois pour partir à la découverte du monde d’une manière originale et pour me couper de ses manifestations les plus désagréables. Ce bel objet, qui donne envie de se recueillir, m’ouvre les portes du monde de l’esprit. Il est infiniment plus agréable que n’importe quel centre commercial.