MICHÈLE BOISVERT ET LES CHEFFES DE FILE : entrepreneuses en mode croissance


ENTREVUE DE MARIE GRÉGOIRE

Il y a beaucoup d’aide pour les femmes entrepreneuses, mais, pour celles qui détiennent au moins 20 % d’une entreprise avec un chiffre d’affaires de 5 à 20 M$, il y avait des besoins à combler. C’est pour cette raison que la Caisse de dépôt et placement du Québec a lancé Cheffes de file l’automne dernier. L’objectif : propulser ces entreprises qui veulent atteindre de nouveaux sommets. Et ainsi, augmenter le nombre de moyennes et de grandes entreprises à propriété féminine au Québec.

 


TEXTE DE MARTINE LETARTE

La fébrilité était palpable lors de la première activité organisée par Cheffes de file, dans son espace lumineux et fraîchement aménagé au 21e étage de l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth, à Montréal. Tenue à la fin de l’automne, cette rencontre réunissait les conférenciers Alain Bouchard de Couche-Tard et David Marotte de FXinnovation. Plusieurs entrepreneuses participantes, qui doivent avoir au moins trois ans d’expérience dans ce rôle décisionnel, ont été dénichées dans le réseau développé par la Caisse et grâce aux recommandations d’organisations alliées, comme le Réseau des femmes d’affaires du Québec (RFAQ) et Femmessor. Déjà, elles sont une soixantaine à avoir adhéré au groupe Cheffes de file. D’autres suivront.

«Ces femmes veulent développer de meilleures connaissances pour croître et avoir accès à un réseau d’experts, mais elles n’ont pas de temps », constate Michèle Boisvert, première vice-présidente, rayonnement des affaires, à la Caisse. On oublie donc les longs programmes de formation et les interminables soirées de réseautage. Cheffes de file mise d’abord sur une plateforme en ligne sécurisée et accessible sur invitation.

«Dans cette communauté de pratique, les entrepreneuses pourront échanger, obtenir rapidement des réponses à leurs questions et s’alimenter en contenu», explique Michèle Boisvert. En plus d’organiser des événements occasionnels, la Caisse créera aussi des ponts entre ces entrepreneuses et différents réseaux de l’écosystème entrepreneurial, comme QG100 et le Groupement des chefs d’entreprise.

Des effets pour les entreprises et le Québec

Avec Cheffes de file, la Caisse souhaite permettre à davantage de petites entreprises à propriété féminine de devenir moyennes et à plusieurs moyennes de devenir grandes. Quelques participantes auront droit à un accompagnement plus poussé sur 18 mois de l’équipe de valorisation de la Caisse qui intervient habituellement auprès des entreprises en portefeuille. «Ces femmes ont un projet précis qu’elles veulent réaliser, comme une acquisition, explique Michèle Boisvert. Ainsi, la Caisse travaille à bâtir tout un pipeline d’entreprises à propriété féminine dans lesquelles elle pourrait investir un jour.»

Il y a tout de même des défis à relever pour amener ces femmes à faire croître leur entreprise. Le financement en est un. «Les femmes ont plus tendance à s’en tenir à investir leur argent et celui de leur famille dans leurs entreprises, constate Michèle Boisvert. Elles ont peur du refus et demandent généralement de moins grandes sommes que les hommes à leur banquier. Elles sont souvent aussi très réticentes à ouvrir leur capital. Mais, on ne perd pas son âme à ouvrir son capital ! » Et, surtout, les femmes doivent avoir en tête qu’il ne faut pas attendre d’avoir besoin d’argent pour en demander. « Il faut le faire quand tout va bien et, de toute façon, pour croître, indique Mme Boisvert, une entreprise a besoin d’argent. Donc il faut aider les femmes, les rassurer et les encourager à aller de l’avant. »

Elle croit aussi qu’il faut adapter le vocabulaire lorsqu’on parle d’entrepreneuriat au féminin. «Prendre des risques, avoir de l’audace, faire de l’argent, c’est un discours sur l’entrepreneuriat qui ne rejoint pas beaucoup les femmes, remarque Michèle Boisvert. Mais, si on parle d’entreprise prospère qui peut faire une différence, de prise de risque calculée, de rôle social, on rejoint les femmes. Nous allons aussi sensibiliser les différents acteurs à l’importance d’adapter leur discours et leur écoute envers les femmes.» À ses yeux, toute la société en sortira gagnante. «Avec de plus en plus de femmes dans les hautes sphères des entreprises, on arrivera vraiment à amener des changements en matière de culture des organisations, poursuit-elle. On sait déjà que les entreprises sont plus profitables lorsqu’elles ont un bon nombre de femmes dans leur conseil d’administration et dans leur équipe de direction. Aider les entreprises à propriété féminine à croître pourra avoir un effet réel sur l’économie du Québec.»

 

 
Hiver 2019Martine Letarte