SYSTÈME DE GARDE À L'ENFANCE AU QUÉBEC : UN FORMIDABLE EFFET DE LEVIER

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PIERRE FORTIN


Professeur d’économie à l’UQAM

Les tarifs des services de garde à l’enfance exercent une grande influence sur la décision des mères de travailler ou non, et par conséquent sur leur revenu d’emploi et leur sécurité économique. La recherche contemporaine est unanime: le système universel de services de garde éducatifs à l’enfance à bas tarif lancé par le Québec il y a 20 ans a eu un formidable effet de levier sur l’utilisation de ces services et le taux d’activité des mères de jeunes enfants. Les mères québécoises ayant plus de continuité dans leurs carrières, leur revenu d’emploi augmente. Ce système agit comme une police d’assurance contre les risques qui menacent la situation financière des femmes et le développement de leurs enfants en cas de séparation, une situation de plus en plus fréquente au cours des dernières décennies.

La famille est le socle de l’éducation des enfants. En pratique, cependant, nous vivons dans un monde où déjà plus de 70% des mères de très jeunes enfants travaillent pour subvenir aux besoins du foyer. La nécessité de services de garde éducatifs de qualité est un fait. Les éducatrices agissent en complément de l’éducation parentale pour le plus grand bien du développement des tout petits. Pour livrer ces services de qualité, le système de garde universel à bas tarif a fait ses preuves. On rejoint ainsi les enfants vulnérables, dont les deux tiers proviennent de la classe moyenne, mais aussi de familles aisées.

Le régime universel attire plus de mères dans la population active, et les recettes fiscales augmentent. Le système universel ne coûte donc rien aux contribuables. L’efficacité économique se chiffre aussi par les retombées du travail des femmes qui agissent comme un multiplicateur.

Le coût des services de garde a une grande importance pour la décision des mères de jeunes enfants de travailler ou non

C’est indéniable, la maternité influe sur la nature de la participation des femmes au marché du travail. Toute travailleuse qui devient mère doit quitter son emploi pendant un certain temps afin de terminer sa grossesse, d’accoucher et de prendre soin de son nouveau-né. Elle se qualifie habituellement pour un congé parental qui procure jusqu’à 50 semaines de prestations. Les parents doivent alors décider comment ils vont organiser leur vie avec le nouvel enfant jusqu’à son entrée en maternelle. La mère peut choisir de rester à la maison avec lui, ou d’avoir recours à des services de garde. Le coût de ces services a une grande influence sur la décision de la mère de retourner travailler ou non à la fin de son congé.

L’introduction du faible tarif des services de garde au Québec a fait considérablement augmenter le taux d’activité féminin

À la lumière des données de Statistique Canada, on constate un changement radical dans le comportement des jeunes Québécoises sur le marché du travail de 1998 à 2014. Tandis que le taux d’activité des mères de jeunes enfants progresse modestement de 4 points hors du Québec, il connaît une hausse spectaculaire de 13 points au Québec. Et ce n’est pas tout. Alors que, hors du Québec, le taux d’activité des femmes qui n’étaient pas mères d’enfants de 0 à 5 ans reste inchangé en 2014 en comparaison de 1998, au Québec il augmente de 5 points. Conclusion? L’impact du régime de garde québécois se prolonge à long terme: utiliser les services de garde et travailler avant le début de la maternelle augmente les chances pour une femme de continuer à travailler après que l’enfant ait fait son entrée à l’école. À partir de ces résultats, des collègues de l’Université de Sherbrooke et moi-même avons estimé qu’en 2008, il y avait 70 000 mères québécoises de plus au travail (hausse de 3,8%) qu’en l’absence de la réforme de 1997, et que l’impact à long terme sur le revenu intérieur brut (PIB) provincial était de l’ordre de 5 milliards de dollars (hausse de 1,7%). Il s’agit d’effets considérables.

 
 

Le système universel de services de garde à bas tarif du Québec a eu trois conséquences importantes pour la sécurité économique des femmes au Québec

1.Le revenu d’emploi des femmes a fortement augmenté. Aujourd’hui, avec environ 75 000 femmes de plus au travail qui perçoivent un salaire annuel moyen de 40 000$ (sans compter les avantages sociaux), le programme ajoute quelque 3 milliards de dollars au revenu annuel des Québécoises. Ce n’est pas seulement le revenu total de la famille qui augmente, mais la portion de ce revenu qui est sous le contrôle de la femme et, par conséquent, son pouvoir dans les décisions du ménage.

2. A vec plus de continuité et moins d’interruptions dans les carrières féminines, les augmentations de salaire et de revenu d’emploi des femmes sont plus importantes et plus rapides sur l’ensemble de leur vie active.

3. À notre époque, il faut concevoir l’emploi des mères comme une police d’assurance en cas de séparation. La probabilité que les couples se séparent durant les dix premières années qui suivent la naissance de l’enfant est grande. Si la mère n’a pas occupé d’emploi pendant la totalité ou la majeure partie de ces dix années, elle se retrouve dépendante et démunie en cas de séparation. Retourner à un travail stable en accédant à des services de garde abordables et de bonne qualité à la fin du congé parental constitue une assurance efficace contre les risques qui menacent la situation financière de la mère et le développement de ses enfants. Autant d’effets qui ont de quoi inspirer les autres provinces canadiennes et les pays où le déficit des naissances nuit à l’équilibre démographique. Depuis un an, des organismes internationaux comme le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), de même que la Banque du Canada, ont souligné et donné en exemple le succès du Québec en matière de garde à l’enfance et son effet bénéfique sur la sécurité économique des femmes. À méditer.

 
 
Hiver 2019PIERRE FORTIN