Philipe Tomlinson: « La clé de la communication, c’est la constance »
Mardi 6 octobre 2020
Dès la première vague de COVID-19, l’attention s’est rapidement tournée vers Outremont où les nombreuses éclosions de cas ont stigmatisé la communauté juive hassidique. Aujourd’hui encore, le taux de contamination est quatre fois supérieur à la moyenne des autres localités dans cet arrondissement où déjà, les crispations se font sentir depuis plusieurs années. Tandis que la saison des fêtes juives bat son plein, Philipe Tomlinson, maire d’Outremont, prend le parti du rapprochement.
Entrevue de Marie Grégoire, texte de Jean-Sébastien Rousseau
Toutes les municipalités ne sont pas égales face à la pandémie. À Outremont, la communauté juive hassidique est très présente et le calendrier des fêtes religieuses est aussi synonyme de rassemblements familiaux. Comment gérer la diversité alors que la recrudescence des éclosions inquiète?
Il n’y a qu’une seule façon, c’est de se parler et d’établir des canaux de communication qui perdureront dans le temps. Notre équipe a beaucoup servi de courroie de transmission de l’information entre la communauté hassidique d’Outremont et la Santé publique. Au début, c’était plus difficile de faire accepter les mesures sanitaires prescrites par le gouvernement. Rappelons-le, la dernière fois que les synagogues avaient été contraintes de fermer, c’était pendant la Deuxième guerre mondiale! C’était un gros changement pour la communauté juive. Mais vu l’ampleur de la situation et comme toutes les familles était affectées, la collaboration et le dialogue ont rapidement pris le dessus.
« Il faut s’attarder sur ce qui nous rassemble, pas sur nos différences. » - Philipe Tomlinson
À quoi ressemblent ces canaux de communication en temps de crise?
Il y a des leaders qui, bénévolement, agissent comme porte-paroles de leur communauté. L’équipe entretient avec eux des discussions régulières. La clé de la communication, c’est la constance. Il faut toujours maintenir le lien. Pendant la crise, nous avons créé une cellule communautaire qui rassemblait chaque semaine une soixante personnes issues des organismes de chez nous. Ça a été très bénéfique pour transmettre les bons messages aux bonnes personnes. Il faut aussi savoir que les informations écrites sont transmises en français, en anglais ainsi qu’en yiddish. Je suis d’accord qu’il faut veiller à la langue française et toujours la privilégier, mais ce genre de mesure d’ouverture est nécessaire pour assurer l’efficacité du dialogue.
Comment prévenir la stigmatisation d’une communauté particulièrement touchée par le virus?
Lorsqu’une éclosion est liée à un endroit ou à une population spécifique, c’est certain qu’il faut s’y attarder. L’erreur serait toutefois de considérer les membres d’une certaine communauté comme étant à part du reste. Il y a une forme de racisme systémique à Outremont. Nous l’avons ressenti dans les nombreuses dénonciations de certains résidents lors de la première vague. Les situations hors-normes peuvent être soulignées, mais pas dans le but de cibler une communauté religieuse distincte. Il faut s’attarder sur ce qui nous rassemble plutôt que sur nos différences.
Je pense que nous avons été parfois trop durs, trop prompts dans notre façon de réagir aux dénonciations. Aujourd’hui, nous souhaitons que la sécurité publique d’Outremont utilise ses pouvoirs de façon à privilégier le dialogue et la sensibilisation.
« Il y a une forme de racisme systémique à Outremont. Nous l’avons ressenti dans les nombreuses dénonciations de certains résidents lors de la première vague. » - Philipe Tomlinson
Cet été, les terrasses d’Outremont ont été très fréquentées, en dépit des contraintes sanitaires. Comment expliquez-vous cette différence par rapport à d’autres arrondissements?
Nous entretenons d’excellentes relations avec nos associations commerciales. Nos trois artères principales sont relativement petites : tout le monde réussit à se connaître, à se parler. D’autre part, la mairie d’arrondissement n’a rien imposé aux commerçants. Ils ont pris la place qu’ils voulaient prendre. Ce sont eux qui ont eu l’idée de fermer la rue Bernard, par exemple. Nous en avons discuté avec eux et avons pris la décision ensemble. Bien entendu, la simplification et l’allègement des critères pour établir des terrasses a beaucoup contribué au dynamisme estival.
On tient souvent la communication pour acquise; elle a pourtant une valeur inestimable. C’est difficile d’évaluer les apprentissages de cette crise, car plusieurs des autorités de gestion propres aux arrondissements nous ont été retirées. En situation d’urgence, tout est centralisé. Cela dit, nous avons bénéficié de cette réorganisation pour tisser des liens plus forts entre nos parties prenantes. Mon équipe et moi nous sommes découvert une flexibilité insoupçonnée. La structure organisationnelle de la Ville n’est pas particulièrement flexible ni toujours ouverte à l’innovation. C’est donc une réussite d’avoir agi avec souplesse. Il ne faut pas perdre ça.
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