Question d’argent n’est point question de gentilhomme
Marc-André Nantais a grandi près de Montréal. Après avoir suivi des études à HEC, il fait ses classes chez Goldman Sachs et chez Bank of America à New York. Marc-André est aujourd’hui vice-président chez Connor, Clark & Lunn. Il conseille des individus, des familles et des couples dans leurs choix financiers.
Parler d’argent dans un couple n’est pas chose facile. Pourtant, la plupart des foyers de la classe moyenne peuvent aujourd’hui compter sur un revenu disponible supérieur à celui de leurs grands-parents.
Voilà pourquoi c’est le moment de parler d’argent
La permanence des transferts gouvernementaux et leur augmentation en valeur constante, la diminution de la taille des familles et le report de l’âge auquel les jeunes professionnels choisissent fondent une famille font que les ménages sont plus riches qu’ils ne l’étaient il y a quarante ans. C’est le constat d’une étude menée en 2015 par Luc Godbout et Suzie St-Cerny de l’Université de Sherbrooke.
Au Québec, les femmes travaillent aujourd’hui autant que leurs conjoints. Plus de 80 % de celles qui sont âgées de 25 à 54 ans occupent un emploi plus ou moins bien rémunéré selon leur niveau d’études ou leur situation familiale. Et les couples sont aussi des tandems où l’union économique peut faire la force d’un projet, qu’il soit familial, entrepreneurial ou patrimonial. Ce pouvoir économique, s’il est bien envisagé, donne lieu à la concrétisation d’aspirations mutuellement enrichissantes, au sens propre et au sens figuré du terme. On sait cependant, combien les discussions financières peuvent être source de tensions dans un foyer.
Socialement, les femmes ont conquis progressivement leur autonomie financière en menant des études. Certaines ont accès à des postes de haute direction. Mais les écarts de salaires persistent et les iniquités demeurent incompressibles au regard du rôle biologique et des déterminismes sociétaux qui déterminent la condition particulière de la femme. Quand un ménage choisit d’avoir des enfants, il n’est aisé pour aucun des deux parents de renoncer à la poursuite de leurs aspirations professionnelles, ou au pouvoir de l’autonomie financière acquise au fil des années sur le marché du travail.
Dans un foyer, le partenariat revêt un potentiel de création de richesse non négligeable. Le dialogue, parfois épineux, devient une condition de la réussite du cheminement.
Pourquoi faut-il parler d’argent ?
Au Québec, au Canada, où les niveaux de vie augmentent, la littératie financière est devenue un concept à la mode. Et pour cause, au-delà de la tendance, c’est un outil essentiel pour permettre aux femmes et à leurs partenaires de réaliser des aspirations profondes. Couples et unions, quelles que soient leurs géométries, peuvent bâtir un héritage de valeurs fondamentales qui dépassent la simple accumulation financière. Voilà pourquoi c’est le moment de parler d’argent.
PAR ISABELLE JEAN PIERRE
Pourquoi faut-il aborder la question ?
1001 bonnes raisons d’ouvrir le dialogue. L’argent fait partie intégrante de nos vies. Pourtant, en parler librement semble être encore, pour beaucoup d’entre nous, un exercice périlleux, voire tabou. Voici le méli-mélo d’Isabelle Jean Pierre.
« Parler d’argent pour s’adapter »
Étienne ADMINISTRATEUR | 47 ANS
Pour moi parler d’argent ne doit plus être un tabou. Même s’il ne s’agit pas de dévoiler systématiquement le salaire qu’on gagne, oser parler des questions financières sereinement devrait être automatique dans nos vies aujourd’hui. Séparations, divorces, familles recomposées, lieux d’habitations propres à chaque partenaire… nos modes de vies familiales sont en perpétuelle mutation, et il devient indispensable de clarifier au plus tôt les questions financières au risque de créer des conflits ou frustrations. De même qu’il est important d’éduquer nos enfants à comprendre l’argent et sa valeur.
« Cesser l’hypocrisie financière »
Nicole DESIGNER | 29 ANS
Parler d’argent en couple, en famille, mais aussi dans le cercle élargi des relations, ne devrait plus être un tabou. Pourtant, il y a autour de nous une réelle hypocrisie à ce sujet et une pression sociale parfois inconsciente. En effet, il est de bon augure de montrer que l’on a de l’argent par des manifestations matérielles (cellulaire, marques tendance, voiture tape-à-l’oeil, etc.). En revanche, il est encore mal vu de révéler le montant du salaire et des efforts fournis pour se permettre de telles dépenses et ce mode de vie.
« L’argent pour construire la vie »
Christopher ARCHITECTE | 38 ANS
Pour autant que le couple soit marié ou que la relation soit stable depuis longtemps, parler d’argent, c’est une nécessité, car les moyens matériels servent de base. L’union ne peut entreprendre des projets ni avoir des objectifs de vie si les finances ne le permettent pas. L’environnement du couple évolue en fonction de l’argent dont il dispose et, pour cela, tout doit être clair entre les partenaires. En revanche parler d’argent en famille me semble encore problématique et source de tensions.
« Un sujet délicat… »
Phil DIRECTEUR ARTISTIQUE | 45 ANS
Sujet difficile voire tabou tant au sein du couple que dans l’espace familial, en particulier dans les contextes où des différences de revenus sont perceptibles, ou lorsque l’homme gagne moins que sa compagne, ce qui induit (encore) un malaise en 2018. Dans l’idéal, il ne devrait pas y avoir de secrets, mais les relations peuvent vite se détériorer entre certains membres de la famille en fonction des jalousies. Jalousie qui intervient également dans le cercle amical. Je pense qu’il faudra encore beaucoup de travail pour que l’argent prenne une place saine dans nos vies sociales.
« Éduquer pour parler d’argent »
Danièle SECRÉTAIRE DE DIRECTION | 55 ANS
Parler d’argent est primordial dans le couple et en famille, mais pour ma part je n’y ai pas été éduquée. Parler de ça en famille était, lorsque j’étais plus jeune, un réel tabou. En avançant dans la vie et au travers des expériences professionnelles, je me rends d’autant plus compte que l’argent est un pilier central. Pourtant, on a encore beaucoup de difficultés à intégrer cette question pleinement dans nos relations. Pour moi, il reste un gros travail d’éducation financière à faire, et ce dès le plus jeune âge, à l’école.