Gérer en temps de crise : entrevue avec Pierre Fitzgibbon
Un mois après les premières mesures de confinement, quelles sont les priorités de l’un des ministres le plus sollicité au sein de l’équipe de François Legault ? Pierre Fitzgibbon répond aux questions de Marie Grégoire.
Par Marie Grégoire
Gérer en temps de crise
MG: On a appris dans le point de presse du 5 avril que les commerces essentiels resteront fermés jusqu’au 4 mai. Quel message souhaitez-vous envoyer aux entreprises pendant cette période qui peut être qualifiée d’«hibernation»?
PF : Ce n’est pas une bonne nouvelle en soi et il est normal que ça puisse décevoir alors que l’on espère tous des bonnes nouvelles. Par contre, les enjeux de santé publique sont très importants pour le moment. Ceci dit, l’aide du fédéral et les ressources financières du Québec sont importantes et permettront de préparer une relance économique très rapidement. Nous sommes déjà au travail. Je contacte beaucoup de monde pour que la relance arrive rapidement. On va pouvoir repartir vite.
MG : Vous parlez des différents programmes mis sur pied par les gouvernements. Comment le Québec travaille-t-il avec le gouvernement fédéral pour faire face à la crise?
PF : On est en réaction même si on a été en avance au départ. Ceci dit, c’est normal et tout le monde doit s’ajuster pour que les choses fonctionnent, notamment en ce qui a trait à l’arrimage des programmes. J’ai de très bonnes relations avec le fédéral et on avance en même temps.
MG : Alors que le confinement a amené des pratiques d’affaires différentes, même s’il est tôt, est-ce que vous vous pensez que certaines pratiques d’affaires vont changer après la crise.
PF : Malgré le chômage actuel, les entreprises ont un devoir civique de faire attention aux employés sans quoi elles vont payer le prix à terme. On voit des choses qui se font, notamment en matière de flexibilité et d’hygiène, et qui indiquent qu’il y a des mesures qui se mettent en place.
MG : Comment voyez-vous la relance ?
En termes de géographie, nos ressources naturelles sont importantes, mais ce qui me préoccupe, c’est que certains secteurs vont avoir plus de difficultés à reprendre de la vigueur alors que la relance pourrait prendre entre 18 et 24 mois.
Des secteurs comme la construction et les sciences naturelles vont être relancés rapidement. Ce sera plus difficile notamment pour les secteurs du tourisme et de la culture. Il faut se demander ce qui est stratégique; comment on peut prendre les bonnes décisions en attendant la relance. Il y a beaucoup de questions qui se posent, notamment en ce qui a trait à la chaine d’approvisionnement, mais on est plusieurs à trouver des réponses.
Car si certains secteurs vont être relancés rapidement après l’atteinte du «pic», ça prendra plus de temps avant d’avoir des grands évènements ou des voyages à l’étranger. Il faut se demander quoi faire entretemps et trouver des moyens, même si c’est complexe, de permettre aux gens travaillant dans les secteurs à risque d’être mis en valeur.
Le Panier Bleu et la balance commerciale du Québec
MG : Quel est le rôle du gouvernement en temps de crise ?
PF : Le panier bleu est un OBNL et il ne doit pas se substituer à ce que le gouvernement fait. Pour moi, le rôle du gouvernement, c’est d’être complémentaire au privé. Si le privé peut bien faire quelque chose, le gouvernement doit se retirer.
MG : Pourquoi Panier Bleu n’est pas totalement un Amazon Québécois ?
PF : Certaines personnes m’ont en effet demandé pourquoi le Panier Bleu n’était pas un Amazon québécois. Pour moi, c’est déjà massif que ce soit un répertoire pour un maximum d’entreprises québécoises et que les métadonnées facilitent la logistique relative à la chaine d’approvisionnement. C’est une première étape très importante. Or, avec Amazon, ça va beaucoup plus loin. Même si, ultimement, je souhaite qu’on ait une chaine logistique au Québec, c’est beaucoup trop tôt actuellement pour qu’on ait les ressources pour que le Panier Bleu soit aussi efficace qu’Amazon. Mais à long terme, c’est souhaitable.
MG : Comment s’inscrit l’achat local et le renforcement du tissu économique québécois dans une perspective d’échanges commerciaux avec le reste du monde ?
PF : Il faut être équilibrés. Il ne faut pas être hostiles dans tous les cas aux entreprises étrangères, surtout si elles peuvent accomplir certaines tâches mieux que certaines entreprises québécoises.
La place des femmes sur les structures économiques du gouvernement du Québec
MG : Lors de la conférence de presse, vous n’avez pas mentionné les noms des femmes qui en étaient membres.
PF : Le conseil d’administration va évoluer. Ceci dit, je tiens à souligner qu’il est actuellement [en date du 5 avril] très représentatif et qu’il est en zone paritaire. (Sylvain Prud’homme, Patrick Bibeau - Bob Agence, David Bahan - Sous-ministre, ministère de l’Économie et de l’Innovation, Sophie Boulanger – BonLook, Brigitte Coutu - Ricardo Médias, Julie Devost - Ministère de l’Économie et de l’Innovation et Alexandre Taillefer ) Je veux qu’il demeure tout aussi représentatif, et ce, en considérant aussi la voix d’intervenants de gens issus de différentes régions et de différents secteurs économiques. Je veux que le conseil d’administration soit large et c’est une bonne chose qu’il soit en zone paritaire. Mais surtout, au-delà des quotas, tous les membres du conseil d’administration amènent une contribution très constructive.
MG : Le comité de relance du gouvernement du Québec est composé de quatre ministres masculins [le ministre des Finances Éric Girard, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale Jean Boulet, le président du Conseil du trésor Christian Dubé et vous]. Croyez- vous que vous gagneriez d’avoir une complémentarité ou une diversité de points de vue au sein de ce comité?
PF : D’emblée, je reconnais que je suis d’une génération qui considère que les réunions efficaces sont celles qui réunissent un nombre limité de personnes. Il ne faut pas voir les choix comme des exclusions de personnes. Personne ne peut nier que les ministères impliqués dans ce comité de relance sont les plus pertinents.
De mon côté, comme ministre de l’Économie, je suis en contact avec plusieurs femmes ministres qui s’occupent de secteurs névralgiques. Je pense entre autres à Marie-Ève Proulx au Développement régional, à Nadine Girault aux Relations internationales, à Nathalie Roy à la Culture et à Caroline Proulx au Tourisme. Je peux dire la même chose avec, entre autres, Benoit Charette à l’Environnement et André Lamontagne à l’Agriculture. Si un ministre qui n’est pas sur le comité a une demande à faire ou un problème à régler, le comité de relance est proactif.
Même s’ils ne sont pas membres du comité de relance, les ministres qui ont un rôle économique sont consultés et ont un rôle important. En apparence, je suis conscient que certains voient des omissions et que celles-ci peuvent paraitre négatives. Mais même si on demeure sensibles aux préoccupations d’un maximum de ministres, le comité de relance devait avoir une composition aussi limitée que possible pour que son travail soit efficace.
MG : En terminant, est-ce que vous auriez quelque chose de plus à dire à nos lecteurs?
PF : L’effort mené avec les femmes d’affaires du Québec n’a pas été mis à mal par la pandémie. Je continue de travailler comme je le fais depuis plusieurs mois afin d’accroitre la représentativité dans le milieu des affaires québécois. La priorité est de valoriser la diversité et la complémentarité concrètement. Le travail du ministère à cet égard n’a pas été laissé en plan et je compte présenter des résultats prochainement. Car malgré la crise, il faut garder le cap sur nos priorités [l’innovation, la réduction du déficit commercial et la valorisation de l’investissement étranger], quitte à s’adapter sur les moyens, en s’assurant de la représentativité au sein du milieu des affaires.