MONTRÉAL ET QUÉBEC : NOUVEAU DESTIN POUR LES COMMERCES

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MARIE-ÈVE ARSENAULT

L’hiver dernier, l’entrepreneure Maryse Cantin annonçait la fermeture de l’iconique boutique Arthur Quentin, véritable institution à Montréal : « Après 43 ans de rayonnement sur la rue Saint-Denis, le magasin va fermer ses portes, je voulais que vous soyez les premiers à le savoir », a-t-elle publié sur sa page Facebook, non sans susciter un déluge de commentaires nostalgiques. Cette fermeture n’est pas un cas isolé.

À Québec et à Montréal, jusqu’à 10 % et parfois 20 % des locaux commerciaux sur les artères commerciales sont vacants. Les habitudes de consommation modernes qui bouleversent le commerce de détail y sont pour quelque chose. Les systèmes d’abonnements à la Netflix ont balayé l’industrie du divertissement. Les entreprises telles que Casper ou Frank & Oak ont réussi à convaincre les consommateurs d’acheter en ligne sans essayer grâce à des politiques de retour faciles. Le commerce électronique nuit sans aucun doute à l’achalandage des boutiques qui ont pignon sur rue, mais d’autres facteurs entrent en compte : chantiers de construction, taux élevés de taxation, ou image négative relayée par les médias. Comment se portent nos artères commerciales ? Que font les municipalités pour les revitaliser ? Premières en affaires fait le tour de la question.

Le danger des locaux vides

D’après Guy Bazinet, directeur général adjoint de PME MTL Centre-ville, c’est aux artères commerciales florissantes qu’on reconnaît la vitalité économique des secteurs résidentiels : « le taux d’occupation des locaux commerciaux constitue le meilleur indice de la vitalité d’un quartier. »

 Montréal compte 24 artères commerciales. « Je dirais que huit d’entre elles vont bien, huit ne vont pas très bien et huit vont moyennement bien », ajoute le professionnel d’expérience. Le réseau PME MTL met en ce moment sur pied un programme sur trois ans visant à financer de nouveaux commerces sur ces 24 artères. Les objectifs ? Attirer de nouvelles enseignes et favoriser la diversification de commerces qui y sont déjà installés. Ce programme permettra au réseau d’accorder des subventions qui atteignent jusqu’à 25 % de la valeur d’un projet.

Même histoire à Québec. Si la rue Cartier et les artères commerciales près du Nouvo Saint-Roch ou du Vieux-Québec s’en tirent plutôt bien, d’autres doivent redoubler d’efforts pour attirer les passants.

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C’est notamment le cas de la rue Maguire, qui était autrefois la rue principale de la ville de Sillery. Après avoir été rattachée à Québec, Sillery est devenue un quartier en marge du centre-ville, ce qui a peu à peu amené Maguire à perdre son caractère central, explique Bruno Salvail, directeur de la Société de développement commercial de la rue Maguire. Le même phénomène se produit avec certaines avenues de Montréal, dont la rue Saint-Denis, qui a perdu son pouvoir d’attraction, et dessert une clientèle beaucoup plus locale qu’auparavant.

 Un « compte de taxes » trop salé ?

Au cours des dernières années, les commerces de Montréal ont dû faire face à une importante hausse de taxes. L’augmentation du taux d’inoccupation et la diminution de l’achalandage n’ont rien changé aux calculs des municipalités qui font face à des réalités fiscales d’une toute autre nature. « Donc moins de commerces, moins de trafic, mais plus de taxes », résume Caroline Tessier, directrice générale de l’Association des Sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM). Triste cocktail pour les entrepreneurs. La taxation représente un défi immense pour les commerces à Montréal. Le commerçant montréalais paie environ 4,5 fois plus d’impôts pour occuper son local, comparativement au compte de taxes d’un établissement résidentiel ; le tout, sans nécessairement bénéficier des mêmes services, surtout s’il n’habite pas le territoire. En moyenne, un entrepreneur sur la rue Saint-Denis paie autant de loyer que de taxes. Caroline Tessier donne l’exemple d’un loyer « très bas » de 3 500 $ : « ça revient à environ 7 000 $ par mois avec les taxes », dénonce-t-elle.

Le taux de taxation est basé sur la valeur immobilière. Pour alléger le fardeau fiscal des propriétaires de bâtiments non résidentiels, la Ville a mis en place une diminution du taux de taxation sur la première tranche de 500 000 $. « Dans le passé, on a souvent vu un ralentissement de l’augmentation des taxes. C’est la première fois qu’une mesure aussi directe est mise en place. »  Avec cette dernière, les propriétaires économisent en moyenne 800 $ annuellement pour un compte de taxes de 27 000 $. « C’est un début. Mais est-ce que ça change vraiment quelque chose ? Non. »

Miser sur l’expérience

Malgré la crise, certains commerces tirent leur épingle du jeu. On se déplace volontiers pour faire un tour en boutique quand il est question de se procurer des produits exclusifs ou de vivre une expérience qui nous change les idées. Les célèbres travaux menés sur la rue Saint-Denis en 2017 n’ont pas pénalisé le restaurant L’Express, qui conserve sa fidèle clientèle depuis plusieurs décennies grâce à une offre irréprochable. Même refrain pour le Céramic Café et la Boutique Courir qui conservent leurs clients au fil des ans.

Véronique Hamel, propriétaire du magasin de jouets Benjo à Québec, a, elle aussi, remarqué ce changement dans les attentes des consommateurs. « Dans le jouet, on est plusieurs à vendre exactement les mêmes produits. Les clients se déplacent maintenant pour trouver des produits plus rares », explique-t-elle. Et ça marche. La boutique attire les familles de la région de Québec grâce à des produits plus exclusifs, mais aussi grâce à des ateliers : « On veut inviter nos clients à venir se détendre et passer un moment en famille. Alors on invite parents et enfants à des ateliers de bricolage. »

 Plusieurs commerçants qui versent dans la tendance de l’expérientiel connaissent un vif succès. À Montréal, le tout nouveau Code & Café propose des ateliers de programmation et de robotique pour les 5 à 99 ans.  

 Animation

Ringards, les événements sur les artères commerciales ? Pas si sûr. Pendant la période du Carnaval de Québec, la rue Maguire a présenté des activités durant un week-end complet. Selon les sondages, de 70 à 75 % des festivaliers n’étaient pas de l’arrondissement Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge. Pour Bruno Salvail, de la Société de développement locale, ces chiffres démontrent l’intérêt de ce genre d’initiatives.

 À l’ère du commerce électronique, de l’économie du partage et des expériences de marque, les entreprises qui ont pignon sur rue doivent jongler avec toute une logistique financière. Mais tout n’est pas noir pour les commerces indépendants. Les rues commerçantes au Québec ont l’oreille des politiques. « Je suis dans le développement économique depuis plusieurs années et je n’ai jamais vu autant d’intérêt sur le sujet. Ça, c’est une bonne nouvelle », conclut Caroline Tessier. C’est sans compter l’intérêt de plus en plus affirmé des consommateurs pour l’achat local, une tendance qui se confirme et qui fait le bonheur des commerçants.

 Certains experts pointent du doigt l’absence d’une régie pour les baux commerciaux au Québec. Très peu de commerçants sont propriétaires de leurs locaux. Ceux qui le sont ont plus de chance. Mais les locaux montréalais sont pour la plupart détenus par des oligopoles, ou encore des propriétaires de plusieurs immeubles adjacents. Ces derniers bénéficient d’un contrôle trop grand sur les prix du marché. Un propriétaire peut annoncer une augmentation de loyer 400 % sans qu’un locataire ne puisse rien y faire. « Quand Lululemon a déménagé de Saint-Denis à Saint-Viateur, ça a créé une grande pression sur les locaux voisins. Les propriétaires à qui appartenaient les locaux sur Saint-Viateur en ont profité pour augmenter le prix des loyers qui étaient encore abordables, ce qui a amené plusieurs commerces indépendants à fermer leurs portes », raconte Caroline Tessier.