Être une femme en 2025 | Marwah Rizqy a les mots pour le dire
29 mai 2025
Au 12e jour de la grève dans les CPE, Marwah Rizqy est un peu échevelée. Elle est déjà allée au Biodôme quatre fois ; idem pour le Planétarium et le Cosmodôme. La députée de Saint-Laurent a trimballé ses enfants dans toutes les activités imaginables, tout en essayant d’effectuer son travail de comté, de produire un documentaire et de terminer la 15e édition d’un recueil de droit international. « Mon plus vieux, Gabriel, trippe sa vie, mais moi, je n’ai pas le temps de faire grand chose ! » Marwah Rizqy ne s’en cache pas : elle n’a pas mis les pieds à l’Assemblée nationale depuis le mois de janvier 2025. « Je n’ai rien négocié, j’ai juste assumé. Je suis dans mon comté, je fais toutes les activités de mon comté, puis j’en ai en motadine ! »
Emmanuelle Latraverse
Élevée à Hochelaga, produit de l’école publique et titulaire d’un doctorat en fiscalité, elle est à la fois le symbole et l’avenir de la démocratie québécoise tout en étant une femme de son temps.
« C’est un véritable enjeu national. On n’arrive pas à scolariser correctement nos garçons dans le réseau public. Au secondaire, c’est moins d’un sur deux qui termine son secondaire en cinq ans. C’est une catastrophe ! »
Marwah est députée de Saint-Laurent. Cette femme courageuse n’en est pas à ses premiers défis. L’avenir avec Marwah, c’est oui. La photo est de Sayde Jabra
Elle n’est pas la superwoman qui réussit la quadrature du cercle au péril de tout le reste : « Ceux qui disaient : “Oui tu peux tout faire”, ce n’est pas vrai. C’est certain que tu vas finir par en échapper, et ce n’est pas ce que je souhaite. » Et même si elle s’est bâti la réputation d’être une des plus redoutables parlementaires de l’Assemblée nationale, Marwah Rizqy n’a aucun regret d’avoir abandonné son rôle de porte-parole pour les infrastructures, l’éducation et l’énergie en plein débat sur l’avenir énergétique du Québec et la crise des infrastructures en santé. « La job de porte-parole la plus importante, c’est pour l’avenir de mes enfants. Mon deuxième bébé a dix mois ; ce que je manque, je ne vais jamais pouvoir rattraper ça. Pour mon aîné, Gabriel, je l’ai emmené à Québec, trois semaines après avoir accouché. Je me suis dit : plus jamais. » C’est confrontée à un choix semblable pour son deuxième enfant que Marwah Rizqy a décidé de renoncer à la politique au terme de son mandat qui se termine cet automne. « Être députée, ça a été le plus grand honneur de toute ma vie. Mais l’expérience la plus transformatrice, c’est d’être maman. »
« Ce n’est pas normal. Les gens ont contribué toute leur vie, ont bâti le Québec, et là, ils ont vraiment de la misère et peinent à subvenir à leurs besoins de base. » Parlez-lui de la grève dans les CPE, elle se désolera des 70 000 familles en attente d’une place : « Comment se fait-il qu’on soit incapables de développer plus de places plus rapidement ? D’autant plus que le gouvernement fédéral a octroyé 6 G$. Il est passé où, cet argent ? »
LE POUVOIR DE L’INDIGNATION
Marwah Rizqy est en quelque sorte le produit du rêve féministe. Sa mère était analphabète. Elle avait peu de moyens, partait travailler à 6 h du matin, allait à des cours du soir, rentrait à 22 h. « Moi, je suis la fille de ma mère, une femme incroyable, dit-elle avec fierté, les larmes aux yeux. Elle, rien ne lui a été donné. Rien. » Et cette femme a appris à sa fille à se battre. À ne jamais, surtout, s’apitoyer sur son sort, même lorsqu’il s’agissait de ne pas acheter la fameuse bague de Secondaire 5 que tout le monde avait. De diplôme en diplôme, Marwah a obtenu son doctorat en fiscalité de l’Université de Floride et a été reçue au Barreau à New York. Ses valeurs, qui sont partagées par beaucoup, c’est ce sens de la justice sociale. C’est ce qui anime la députée de Saint-Laurent. Devant la crise du coût de la vie, elle vous transmettra son indignation face à une aînée forcée de retirer des aliments de son panier d’épicerie à la caisse : « Ce n’est pas normal. Les gens ont contribué toute leur vie, ont bâti le Québec, et là, ils ont vraiment de la misère et peinent à subvenir à leurs besoins de base. » Parlez-lui de la grève dans les CPE, elle se désolera des 70 000 familles en attente d’une place : « Comment se fait-il qu’on soit incapables de développer plus de places plus rapidement ? D’autant plus que le gouvernement fédéral a octroyé 6 G$. Il est passé où, cet argent ? » Parlez-lui de la course à la direction du PLC à laquelle elle a renoncé, elle vous racontera comment elle est encore plus fière d’avoir mis sur pied le premier bureau d’aide juridique dans un bureau de comté au Québec : « Les gens débarquent dans ton comté, et finalement, tu te rends compte qu’ils n’ont pas besoin d’une députée, ils ont besoin d’un avocat. Mais un avocat, ça coûte trop cher pour bien des gens qui ne se qualifient pas pour l’aide juridique du gouvernement. Ce n’est pas vrai qu’à 55 000 $ par an, tu vas pouvoir te payer un avocat à 250 $ l’heure. Alors, nous, on leur offre le service. »
Parlez-lui des débats palpitants qu’elle manque à l’Assemblée nationale, elle vous parlera de son documentaire sur la sous-scolarisation des garçons. Une autre première dans l’histoire pour une députée : « C’est un véritable enjeu national. On n’arrive pas à scolariser correctement nos garçons dans le réseau public. Au secondaire, c’est moins d’un sur deux qui termine son secondaire en cinq ans. C’est une catastrophe ! » Parlez-lui du féminisme en 2025, elle s’indignera du recul que subissent les femmes aux États-Unis. Un recul qui peut facilement nous guetter, selon elle. « Le rôle maintenant des féministes, ça va être de conserver les acquis parce que partout il peut y avoir des reculs. »
L’AVENIR
Entre deux questions, le fils de Marwah Rizqy vient se coller, exiger l’attention de sa maman qui le néglige depuis plus de 30 minutes. Pas évident quand bébé veut les écouteurs qui servent à faire l’entrevue en visioconférence. Mais Marwah Rizqy rigole. Contrairement aux femmes de la génération qui l’a précédée, elle n’a pas honte, n’est pas gênée que son fils l’interrompe. Elle sait que la journaliste à l’autre bout du fil a vécu la même chose et a emmené sa fille en studio à des heures indues pour une émission spéciale sur la mort de Fidel Castro ou sur tout autre événement majeur qui a fait les manchettes. » Marwah Rizqy n’a pas peur de l’après-politique. « Je ne sais pas encore c’est quoi la suite pour moi. Mais je sais que je suis capable de me réinventer. Je sais une chose seulement. Le soir je veux être chez moi avec mes enfants. »
Questions existentielles
LE PLAFOND DE VERRE, TU Y CROIS ENCORE ?
En ce moment, c’est la falaise de verre que les femmes vivent. On leur donne toujours la position quand personne ne la veut. C’est à elle de faire le ménage quand ça va mal, mais elle n’a pas tous les pouvoirs décisionnels. Tant pis si elle se plante.
QU’EST CE QUI TE RÉVOLTE ?
Ce qu’on appelle communément les peines Netflix pour les fraudes sur les aînés, moi, ça m’enrage. Quand je vois les peines de 2 ans moins un jour ! Le criminel a une peine à la maison, et il y a un aîné qui n'a plus d’argent et qui est humilié. Ça, ça m’enrage. Tu ne touches pas aux aînés, aux enfants ou aux personnes avec une déficience intellectuelle.
VIEILLIR ÇA TE DIT QUOI ?
Je n’y ai jamais pensé !
QU’EST CE QUE TU AIMES LE MIEUX DANS LE MONDE DANS LEQUEL ON VIT ?
Je nous souhaite plus d’enfants ! Le taux de natalité au Québec est en chute libre. Faudrait qu’on se demande pourquoi. Imagine un jour où il n’y aura plus d’enfants dans les ruelles.
ÊTRE FÉMINISTE DANS LE MONDE DES AFFAIRES, EST-CE QUE C’EST ENCORE TABOU ?
Je ne pense pas. Regarde ce que Sophie Brochu, Isabelle Hudon ont fait, c’est extraordinaire. Ça a tellement mais tellement propulsé les femmes. Puis ça surtout, ça crée un réseau. Les hommes ont eu leur boys club, mais ça a pris du temps avant que les femmes aient l’équivalent.
UNE FEMME QUE TU ADMIRES ?
Monique Jérôme-Forget. Pauline Marois. C’est simple, depuis que j’ai 4 ans à la gare, à l’école, à la maternelle, le monde disait : Marwah, comme dans Pauline Marois. Elle a toujours été là, comme un guide depuis le début. Mais il y aussi Margaret Thatcher, qui a tellement fait avancer le droit fiscal. Elle avait un doigt d’honneur sur son bureau de travail. Et elle le mettait de l’avant pour ceux qui venaient négocier des sentences en matière de fraude fiscale.
UNE RENCONTRE DÉTERMINANTE QUI A CHANGÉ LE COURS DE TA VIE ?
Je ne voulais pas me marier. Et j’étais loin d’avoir des enfants dans ma tête. Puis j’ai 2 enfants maintenant. Greg a transformé ma vie.
QU’EST-CE QUE TU ADMIRES CHEZ LES AUTRES ?
L’honnêteté. Tous mes amis ont quelque chose en commun, ils sont très directs.
QU’EST-CE QUE TU AIMES MANGER PAR DESSUS TOUT ?
Le chocolat ! Sincèrement, c‘est pire qu’une drogue, c’est grave mon affaire ! Je fais même tirer un immense chocolat fait sur mesure chez Chocolaterie Chocomax chaque année pour l’enfant qui fait le plus beau dessin.
TES VACANCES IDÉALES ?
Aux Îles de la Madeleine. C’est tellement beau, tellement serein et les gens gentils, généreux.
Le déjeuner de la rédaction a eu lieu le 12 mars 2025 à la Brasserie Henri, en présence de BDC. Au menu: un gravlax de saumon fumé, des viennoiseries et un service impeccable.