Le centre-ville prend du mieux

 

22 mai 2023

Le centre-ville de Montréal a encaissé un dur coup pendant la pandémie alors que les travailleurs ont déserté en masse les tours de bureaux. Si la situation n’est pas encore revenue à la normale, les acteurs du milieu s’activent pour relancer ce secteur clé de la métropole.

EMILIE LAPERRIÈRE

© Hans Isaacson

À la tête de la Société de développement commercial (SDC) du centre-ville de Montréal, connue sous le nom de Montréal centre-ville, Glenn Castanheira se montre confiant. « Le centre-ville résiste bien à l’adversité. On a retrouvé l’achalandage prépandémique malgré le fait qu’il manque à peu près la moitié des travailleurs de bureau », se réjouit-il. Cette résilience tient surtout à la diversification du quartier, selon lui. La chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) abonde dans ce sens. « On voit le retour des 130 000 étudiants sur les campus et le tourisme est revenu en force, avec des chiffres records l’été dernier. La situation s’est nettement améliorée », assure Jessica Bouchard, directrice principale, stratégie de contenu, Affaires économiques et relance du centre-ville.

Tout n’est pas gagné pour autant. Le secteur affiche encore un taux d’inoccupation qui oscille entre 20 et 25 %, soit environ 11 fois la place Ville-Marie. Et ces chiffres sont en hausse. « En septembre 2021, environ 40 % des travailleurs revenaient au bureau. Aujourd’hui, 87 % des employés viennent au bureau au moins une fois par semaine et 53 % de trois à cinq jours », nuance Jessica Bouchard.

Glenn Castanheira remarque qu’on est encore loin de ce qui se passe à Calgary, où des tours sont désertées depuis plus de dix ans. « Le sort des immeubles de catégorie C, qui comptent pour 10 % de notre parc immobilier, est plus préoccupant », constate-t-il. Une réalité qui n’a rien de surprenant. Tout comme en hôtellerie ou dans le commerce de détail, ce sont les hôtels, les restaurants et les détaillants de meilleure qualité qui performent le mieux. Sur la rue Sainte-Catherine, entre Atwater et Saint-Urbain, le taux de non-occupation des commerces reste stable, à environ 11 %. Les rues périphériques, comme la rue Crescent au nord de Maisonneuve, et les locaux souterrains sont plus touchés. « En d’autres mots, tous les commerces qui n’étaient pas des commerces de destination ont eu plus de difficulté. Plusieurs ont même fermé leurs portes », résume le dirigeant.

Pour la directrice principale de la relance du centre-ville, Jessica Bouchard, le principal défi est de trouver un point d’équilibre entre mode hybride et présence au bureau pour maintenir la culture et la collaboration.

Plusieurs problèmes

À l’instar des autres centres-villes nord-américains, Montréal fait face à des problèmes de propreté et de sécurité. « Montréal est reconnue comme l’une des villes les plus sécuritaires du monde, mais le sentiment de sécurité semble s’effriter », avance Glenn Castanheira. La détresse mentale de la population marginalisée est en croissance. Le centre-ville est bien desservi par le transport en commun, mais jongle avec un défi de mobilité en raison des coupures de service qui augmentent. « On doit investir pour ne pas réduire l’offre ou la fréquence », dit Jessica Bouchard. L’arrivée du REM, vue d’un bon œil, risque de ne pas suffire pour résoudre le problème. Pour la directrice principale de la relance du centre-ville, le principal défi est de trouver un point d’équilibre entre mode hybride et présence au bureau pour maintenir la culture et la collaboration. L’autre défi concerne les espaces à bureaux. « Dans les immeubles de catégorie A et AAA, qui représentent 51 % de l’offre, ça se passe assez bien parce que les entreprises sont en croissance, elles investissent dans les espaces. Cependant, le taux de vacance continue de progresser dans les immeubles de catégorie B et C. »

Relance

Comme le centre-ville de Montréal a connu la deuxième plus forte croissance démographique au Canada, les services ne répondent plus à la demande. Le centre-ville a besoin d’écoles, de garderies, de supermarchés, de bibliothèques. La relance du centre-ville se fera sur plusieurs fronts, croit Glenn Castanheira. « On dépend de trois paliers de gouvernement, qui ont des champs de compétence très différents et qui semblent souvent avoir des intérêts divergents. Il faut concerter les efforts pour s’assurer que les investissements arrivent à bon port. Par exemple, en matière de mobilité, Montréal a besoin d’un plan structurant pour les prochaines décennies. » La compétition de Montréal n’est pas Québec ou Trois-Rivières, mais bien les autres grandes métropoles du monde, qui, elles, avancent à vitesse grand V pour rattraper le temps perdu.

D’autres villes, comme Paris ou New York, donnent de nouveaux usages aux immeubles de catégories B et C. « Ça peut être des espaces de travail partagé, des lieux regroupant des entreprises en démarrage où l’on va créer des synergies, illustre Jessica Bouchard. On peut aussi convertir les tours en logements lorsque l’espace s’y prête. » Pour Glenn Castanheira, l’idée est bonne surtout sur papier. « Dans les faits, une analyse récente démontrait qu’il y a moins de 1 000 logements qu’il serait possible de bâtir dans les tours de bureaux du centre-ville. Ça peut sembler beaucoup, mais un seul projet résidentiel en compte davantage. » Les coûts de conversion sont faramineux, ce qui lui fait dire que ce n’est pas la panacée. « Ce qu’il faut surtout, c’est densifier le centre-ville, continuer ce boom immobilier résidentiel sans précédent et s’assurer que les nouveaux résidents veulent rester », estime-t-il. Les tours existantes doivent aussi être entretenues et répondre à la nouvelle réalité du marché du travail.

Ça fait plus de deux ans que la CCMM a le mandat de relancer le centre-ville. « La vitalité du secteur passe par la présence des travailleurs. Ce sont eux qui nourrissent l ’activité économique », analyse Jessica Bouchard. L’organisme travaille avec les employeurs pour ramener les gens au bureau. « On travaille aussi avec des créateurs et des propriétaires immobiliers du centre-ville pour proposer de la nouveauté et des expériences. » La firme Harrison Fun a par exemple recouvert la terrasse de l’hôtel Delta d’un terrain de basketball intelligent l’an dernier. Moment Factory a imaginé Arcade, des jeux grandeur nature en réalité augmentée. Depuis le 4 avril, les visiteurs peuvent découvrir Miroir, Miroir, une série d’installations d’art immersif à la place Bonaventure. Au centre-ville, les beaux jours sont devant nous.

D’autres villes, comme Paris ou New York, donnent de nouveaux usages aux immeubles de catégories B et C.

 

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