Cultiver l’expertise
Mise à jour le 11 juin 2024
Les femmes représentent 50% de la population. Pourtant, elles ne forment que le tiers des experts cités dans les médias.
Au 28 janvier dernier, Radio-Canada, La Presse, Le Journal de Montréal, TVA Nouvelles, Le Droit et Le Devoir avaient fait appel à 71% d’experts masculins selon le Radar de Parité, un site d’analyse quotidienne de textes et de métadonnées piloté par Informed Opinions, l’Université Simon Fraser et Discourse Processing Lab.
Ce résultat ne surprend guère Mireille Lalancette, professeure titulaire en communication politique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
«Les médias rappellent toujours les mêmes experts. Une personne qui refuse une fois risque de se faire oublier pour toujours.»
Les médias sont des ogres, qui consomment les expertises jour et nuit. Ils recherchent des personnes qui s’expriment clairement et qui savent captiver un auditoire, notamment à la radio et à la télé.
«Plusieurs femmes entretiennent le syndrome de l’imposteur: elles ne se sentent pas à l’aise de commenter un sujet qu’elles maîtrisent pourtant bien.»
«Il y a une forme de paresse de toujours rappeler les mêmes experts, constate la journaliste Gabrielle Brassard-Lecours, codirigeante de femmesexpertes.ca, un outil de recherche d’expertes dans tous les domaines. C’est rassurant pour les recherchistes, qui travaillent sous pression.»
C’est d’ailleurs pour contrer ce phénomène que le site fut créé, lequel s'adresse aussi aux dirigeants d’entreprises et offre des formations pour maîtriser les techniques d’entrevues médiatiques.
«Les femmes sont mal à l’aise avec les journalistes et inquiètes d’être mal citées. Elles craignent notamment la haine en ligne, dont elles sont davantage victimes que les hommes», reprend-elle.
Souvent, les expertes se font appeler à des heures indues, au moment où elles s’occupent des enfants. «Les hommes ont un horaire plus souple», ajoute-t-elle.
«Les médias ressemblent de moins en moins à leurs publics, constate Jean-François Dumas, président d’Influence Communications, qui analyse les contenus des médias depuis plus de 20 ans. Les femmes et les communautés culturelles sont peu représentées dans les médias, qui multiplient les panels de trois ou quatre hommes blancs de 50 ans et plus.»
«Plusieurs femmes entretiennent le syndrome de l’imposteur: elles ne se sentent pas à l’aise de commenter un sujet qu’elles maîtrisent pourtant bien, reprend Gabrielle Brassard-Lecours. Elles vont même recommander un collègue masculin.»
Mireille Lalancette croit que les femmes attendent de maîtriser 90% des attentes et des compétences avant de s’exprimer publiquement sur un sujet, ce que ne font pas les hommes.
«Il y a une volonté de perfectionnisme qui dessert les expertes, ajoute-t-elle. Cela reflète des cercles de pouvoir encore majoritairement masculins. Même si l’on s’attend inconsciemment à ce qu’une femme n’occupe pas un rôle de leadership, ça change. Nombre d’hommes sont des alliés des femmes: j’en connais même qui refusent de participer à un panel qui n’est pas paritaire.»
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