Immobilier industriel, commercial, bureaux: lendemain de veille

 

22 mai 2023

Marché industriel, commercial ou de bureaux, avec la pandémie, c’est tout le marché immobilier non résidentiel qui encaisse le coup. La situation reflète surtout les transitions qui se produisent dans le secteur et dans l’aménagement de nos vies urbaines. État des lieux.

STÉPHANE DESJARDINS

Quelques chiffres. Le taux d’inoccupation des bureaux du centre-ville de Montréal a atteint un sommet de tous les temps au premier trimestre de 2023, à 16,5 %, selon la firme CBRE. En immobilier commercial, le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) indiquait dans son dernier Baromètre (fin 2021) que 50 % des consommateurs fréquentaient les centres commerciaux aussi souvent qu’avant la pandémie. L’achalandage est donc revenu à des niveaux prépandémiques, mais au centre-ville, les clients se font encore attendre. En banlieue, c’est plus occupé. En avril, Statistique Canada publiait des chiffres sur l’investissement immobilier : dans le secteur non résidentiel, selon un calcul effectué par le journal La Presse, ce type d’investissement a progressé de 1,8 % de mars 2022 à janvier 2023.

« Les fondamentaux sont bons même si la hausse des taux d’intérêt a ajouté de la pression sur le taux de capitalisation, explique Marie-Andrée Boutin, cheffe du développement et de l’exploitation chez Cominar. Les hausses de revenus ont compensé les hausses de taux ; hausses de taux qui ont eu un impact négatif sur la valeur. Par rapport au dernier trimestre de 2019, on enregistre une hausse de l’achalandage et des ventes de 10 % dans nos centres commerciaux. Ce sont des niveaux plus élevés que durant la période prépandémique. »

Claude Lavigne, chef des opérations chez Cominar, constate que les valeurs sont en hausse pour les immeubles industriels, alors que pour les bureaux et les centres commerciaux, c’est plus difficile. Mais elles ont tout de même augmenté. « Les bureaux ont été frappés par la désaffectation des investisseurs. Leur utilisation a complètement changé depuis que les employeurs sont passés en mode hybride, avec du télétravail deux ou trois jours par semaine. Les gens ne veulent plus passer des heures dans les bouchons de circulation ou le transport en commun. »

Surenchère

Pour un immeuble industriel en vente, 20 acheteurs vont soumettre une offre, ce qui influe évidemment sur les valeurs. Dans le marché du bureau, les acheteurs sont rarissimes. Les institutions (fonds d’investissement, caisses de retraite, assureurs) se sont mises en mode attente, constate Mme Boutin. Pas de retour à la normale sur les rues commerçantes au centre-ville, où l’achalandage varie selon la journée. Dans les autres quartiers, on observe une cer-taine transformation. Des commerces ont fermé, d’autres les remplacent. « La situation n’est pas la même à Sainte-Adèle, à Montréal ou à Laval », commente Julie-Maude Ayotte, évaluatrice agréée au Groupe Altus, qui constate qu’avec la pandémie, beaucoup de gens ont migré en région ou en banlieue éloignée. L’effet du commerce en ligne se fait aussi sentir : « On revient toutefois lentement à un niveau prépandémique. Il y a peu de transactions, car les investisseurs hésitent à se mouiller. Évidemment, plus les taux augmentent, plus les valeurs diminuent. Et les prix des immeubles à vendre sont plus bas qu’avant la pandémie. »

 

« Les fondamentaux sont bons même si la hausse des taux d’intérêt a ajouté de la pression sur le taux de capitalisation. »

– Marie-Andrée Boutin

 

« Beaucoup de gens ont migré en région ou en banlieue éloignée. La situation n’est pas la même à Sainte-Adèle, à Montréal ou à Laval. »

– Julie-Maude Ayotte

Julie-Maude Ayotte le confirme : dans le secteur industriel, la demande explose depuis trois ans et l’offre est prati-quement inexistante : « Les loyers sont à la hausse. Pour cette période, on est passé de 8 $ à 13 $ le pied carré dans cette classe d’actifs, révèle-t-elle. Dans le commercial, c’est stable. On demeure conservateur à cause des vacances et des mauvaises créances. Les loyers ont peu bougé depuis deux ans dans le commercial et dans les bureaux. »

C’est plus difficile pour les immeubles de bureaux du centre-ville, car beaucoup de locataires migrent vers Laval ou la Rive-Sud, où ces marchés sont en meilleure forme. Et même si les bureaux se vident, on remarque peu de sous-locations. Aux renouvellements de baux, les espaces rapetissent. Du côté des centres commerciaux, elle observe un marché tout de même difficile. « Les centres commer-ciaux qui vont bien sont ceux dont les grands espaces sont loués par des bannières qui attirent la clientèle », dit-elle.

Pour Marie-Andrée Boutin, le secteur doit se réinventer. « On crée de la valeur en enfouissant les stationnements sous des immeubles commerciaux, résidentiels ou de bureaux, entourés d’espaces verts. Les centres d’achats deviennent des milieux de vie et génèrent ainsi un achalan-dage. » Pour justifier ces investissements, il faut construire en hauteur. Il y a toutefois des résistances, comme on l’a vu à Pointe-Claire, où Cadillac-Faiview veut construire des tours à proximité de la gare du futur REM. La ville a bloqué le projet, car les citoyens craignent une augmentation du trafic. « Ces préoccupations sont légitimes, mais les élus devront adopter des mesures pour encourager cette den-sification. On n’est plus dans les années 1960. »

 

CAHIER IMMOBILIER | MAGAZINE DU PRINTEMPS 2023