Milieux de vie: quatre points de vue
Mise à jour le 11 juin 2024
Adina Georgescu, Julie Dubé, Kim Pham et Vanessa Raymond. Ces quatre femmes en savent long sur les tendances dans le quotidien de l’immobilier commercial. Elles partagent leurs points de vue éclairés.
Propos recueillis par Claude Plante
Adina Georgescu: le juste prix
Le projet de loi 22 fait suite à des demandes médiatisées de municipalités qui souhaitent acquérir des propriétés en milieux naturels ou ailleurs dans la localité afin de les protéger. Adina Georgescu apporte un regard sur la question.
La jeune avocate donne l’exemple de la famille Murphy, qui occupe une maison ancestrale d’un quartier chic d’une petite ville des Cantons-de-l’Est.
Elle avait été achetée par un riche Irlandais ayant quitté les États-Unis lors des troubles de la guerre de Sécession. Ses descendants ont préservé l’austère demeure devenue symbole de stabilité dans le voisinage.
Afin de faire face à la demande de logements, la municipalité veut redessiner le quartier. Dorénavant, on ne verse que la valeur marchande de l’immeuble, en vertu de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi 22. Le caractère patrimonial et la valeur sentimentale ne peuvent s’appliquer pour faire hausser le coût d’une propriété vis-à-vis de la ville.
Adina Georgescu, avocate spécialisée en droit municipal au bureau montréalais de Miller Thomson, a participé à la commission parlementaire à ce sujet pour représenter l’Institut de développement urbain (IDU) du Québec.
«Avec la nouvelle loi, le principe de valeur au propriétaire est évacué. Maintenant, seule la valeur marchande s’applique.»
Les parties impliquées s’exposent à des lenteurs dans le processus d’expropriation, compte tenu de nouvelles dispositions qui sont mises en place, notamment pour déterminer la valeur des résidences ou des immeubles commerciaux et industriels. Il pourrait se produire des «petits procès» à l’intérieur de la démarche d’évaluation, a-t-elle fait valoir.
Kim Pham: le cœur de la ville
Il y a quelques mois, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) estimait que le Québec aurait besoin d’environ 860000 logements d’ici 2030. La pénurie majeure de logements occupe une large partie du débat public dans la province. Dans tout ce brassage d’idées pour régler l’épineux problème, on ne doit pas oublier le précieux apport de l’architecture.
« Garder une diversité devient très important, car les besoins et les villes évoluent. On va vers ce qu’on appelle les villes intelligentes.»
Devant l’urgence d’agir pour régler la pénurie de logements, il est important de se donner la chance de réfléchir aux solutions qui seront porteuses de façon durable et harmonieuse.
Plusieurs seront portés à vouloir accélérer les choses en sautant des étapes, dont celle de l’architecture. Cette étape est pourtant essentielle. La reconversion, celle des tours de bureaux et des centres commerciaux pour créer des unités habitables, est amplement discutée. Il y a «souvent un danger à vouloir aller vite», analyse l’architecte.
Son projet actuel, la transformation de ce qui deviendra le Quartier des Lumières sur le site de la Maison de Radio-Canada dans le secteur est de Montréal, illustre les défis de la réhabilitation et de la construction neuve autour d’un programme mixte.
Le développement s’appuie sur le tissu existant pour renforcer les liens à travers le quartier grâce à un nouveau réseau de mobilité durable. «Cette tour avait créé une fracture dans la ville.»
Le nouveau concept est une façon de rattacher les quartiers environnants à la ville.
Vanessa Raymond: un fleuve grand comme l’horizon
Vanessa Raymond est cheffe du bureau de Baie-Comeau de la firme STGM depuis une douzaine d’années. «Il y a plusieurs défis. Nous avons une population en décroissance. Il faut retenir les jeunes», précise celle qui prend la relève du bureau. «Les projets sont importants dans un territoire où les paysages sont vastes et où le tourisme est rare.» Vanessa Raymond a étudié l’architecture à l’Université Laval à Québec, tout en revenant le plus souvent possible à Baie-Comeau.
Après un baccalauréat et une maîtrise, elle décroche en 2009 un emploi chez ELA. Le bureau fusionne en janvier 2022 avec STGM, qui a aussi des bureaux à Montréal et à Québec. La firme regroupe aujourd’hui une équipe de 150 architectes, designers et experts.
«Les projets que l’on réalise comportent moins d’immeubles en hauteur. On doit préserver la nature. On veut garder les arbres.»
Et il y a aussi le fleuve, grand comme une mer, toujours bien présent à l’horizon. Côté industriel, d’autres projets, comme le complexe portuaire de Baie-Comeau, vont renouveler l’activité économique pour compenser le choc de la fermeture, il y a trois ans, de l’usine de papier de Produits forestiers Résolu.
Julie Dubé: pour un débat public
Le projet de loi vise à rendre plus limpide le processus et évite d’atteindre des montants exorbitants lors d’expropriations dans un contexte de besoin de construction d’habitation ou de moyens de transport.
«Pour évaluer un bâtiment, il faut aller sur le terrain. On doit voir les lieux, examiner l’enveloppe physique et tenir compte de plusieurs facteurs, comme la localisation, l’environnement immédiat et le zonage.»
«C’est un projet de loi rempli de bonnes intentions, assure-t-elle. On comprend qu’on doit aller plus vite, mais il faut garder en tête qu’on cherche également à en arriver à un équilibre dans la valeur des biens expropriés.»
Comme présidente élue dans le regroupement, Julie Dubé renforce son engagement et son influence dans l’industrie. Selon elle, l’évaluateur fait un travail essentiel pour déterminer la valeur d’un immeuble: «C’est peu connu, mais la plupart des gens en ont besoin. Parfois, quand on veut acheter une maison, la banque va demander une évaluation; personne ne s’en rend compte. Si une personne veut vendre sa maison sans courtier, elle peut faire affaire avec un évaluateur pour avoir une bonne idée de sa valeur et demander le juste prix.»
Diplômée de l’Université Laval et membre de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec depuis 2009, Julie Dubé a travaillé à la firme EVALIM et au groupe Altus. Elle a joint l’équipe d’évaluation des actifs chez Ivanhoé Cambridge en 2018. Son expérience en évaluation porte notamment sur les propriétés résidentielles et sur les immeubles commerciaux, avec une spécialisation pour les centres commerciaux.
«Pour évaluer un bâtiment, il faut aller sur le terrain, affirme-t-elle. On doit voir les lieux, examiner l’enveloppe physique et tenir compte de plusieurs facteurs, comme la localisation, l’environnement immédiat et le zonage. S’il est rare que la valeur relative des biens immobiliers diminue dans les métropoles, le contexte économique influence néanmoins le prix: c’est un autre facteur à ne pas négliger pour les décisions à plus long terme.»
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