Belœil, ville modèle

 

Nadine Viau fait partie de la nouvelle génération de politiciennes québécoises qui entendent bouleverser les habitudes, malgré un climat de plus en plus difficile. D’entrée de jeu, Nadine Viau, mairesse de Belœil depuis novembre 2021, explique que son implication politique est à l’aune du changement. Cette mère de trois enfants déclare qu’elle a élu domicile à Belœil depuis qu’elle a choisi de s’y établir en 2007. Depuis, elle s’est impliquée dans plusieurs organismes communautaires avant de travailler pour cette ville comme fonctionnaire au développement économique et à l’urbanisme. Qu’on se le dise : la vie de quartier et la « dimension locale » sont à la mode, à Montréal comme dans les agglomérations voisines.

Stéphane Desjardins

Si Nadine Viau avoue ne pas avoir choisi une carrière politique, elle réalisait du pointage téléphonique dès l’âge de 7 ans pour le PQ et le Bloc québécois. Entrepreneure sociale, et qui connaît les subtilités de la langue espagnole, annonce son intention de faire le saut en politique. La mairesse Diane Lavoie, élue en 2009 et en poste depuis 12 ans, tente de la recruter. Mais Nadine Viau se sent peu à l’aise avec certains dossiers pilotés par l’équipe en place et la néophyte décide de lancer son propre parti. Une intuition qui lui sourit. Elle monte une formation, recrute ses candidats en trois jours et, à six mois du scrutin, dispose déjà d’une caisse électorale de 30 000 $. Elle l’emporte par 241 voix sur son opposante que d’aucuns qualifiaient d’indélogeable, mais doit néanmoins composer avec une opposition majoritaire.

Nadine Viau

« Évidemment, quand on se présente avec une posture de changement, on fait des vagues, mais si on communique adéquatement, si on explique bien, on réussit à faire passer nos messages et nos projets. » - Nadine Viau

Un conseiller lui déclare même, au lendemain du scrutin, qu’elle n’aura jamais sa confiance et que certains parient sur le fait qu’elle ne terminerait pas son mandat. C’est le début d’une période tumultueuse. De partielle en partielle, la majorité de l’équipe de la mairesse se confirme et le climat s’adoucit. « Certains politiciens aiment tellement le bâton du pouvoir qu’ils se comportent comme Gollum dans Le Seigneur des anneaux, qui convoite sans cesse son Précieux », ajoute-t-elle pour décrire cette période qualifiée de pénible. On parle beaucoup ces temps-ci d’un climat difficile, marqué par les incivilités et même la violence envers les politiciens, qui pousse certains à la démission. Nadine Viau, elle, se dit immunisée.

« Évidemment, quand on se présente avec une posture de changement, on fait des vagues, commente-t-elle. Qualifiez-moi de naïve, mais je me dis que si on communique adéquatement, si on explique bien, on réussit à faire passer nos messages et nos projets. La population de Belœil est extraordinaire. Les gens voient le vent de changement. J’aime faire mon épicerie ! »

Rapidement, la mairesse se rend avec quelques élus à Copenhague pour visiter cette plaque tournante du renouvellement urbain. À Belœil, une immense terre agricole serait promise à des rangées de bungalows identiques : « Quand on développe une ville, on bâtit pour toujours, constate la mairesse. On se retrouve avec des nuisances éternelles. Nos quartiers les plus récents sont difficiles à déneiger et leurs habitants sont souvent déconnectés de la communauté, car ils prennent l’autoroute pour consommer et s’amuser ailleurs. Les constructeurs disaient que les gens voulaient des maisons de ville. Nous, on voulait implanter le concept de ville en 15 minutes à pied. » C’est un choc. Nadine Viau ne voulait pas dénaturer Belœil, mais les exigences de densification de la Communauté métropolitaine de Montréal posent un défi. Elle embauche le starchitecte Pierre Thibault, qui propose un projet humain, avec le piéton au cœur du développement. « Au Québec, on bâtit à l’envers : on propose un bâtiment, puis on met du vert et du stationnement autour, reprend-elle. Nous, on promeut le vivre-ensemble. On a proposé un plan qui multiplie les espaces verts partagés, qui intègre le logement familial ou pour les aînés, qui stimule la vie sociale et la proximité. »

L’arrivée de Northvolt, un projet d’usine à batteries pour des véhicules électriques, bouleverse bien des certitudes. La mairesse convainc propriétaires et développeurs d’embarquer dans cette vision et adopte des règlements après avoir consulté les résidents. « Certains nous disaient qu’ils tenaient à leur maison et à leur piscine, mais une majorité a accepté le changement avec enthousiasme, relate-t-elle. Quelques-uns, fascinés, veulent vendre leur maison pour s’installer dans le futur quartier, qui comprend tout de même 4 000 portes. On se devait de mobiliser la population. »

Nadine Viau a aussi adopté une autre proposition controversée : le transport en commun gratuit, de concert avec la ville voisine de McMasterville. « La croissance effrénée de Belœil a fait exploser le parc automobile, dit-elle. Les maisons avec trois ou quatre voitures à la porte sont monnaie courante. C’est insoutenable pour nos infrastructures. Nos jeunes ne connaissent pas le transport en commun, mais ce sont eux qui vont changer nos habitudes collectives. Au lieu de s’acheter un scooter ou une voiture, ils adoptent notre concept de bus à la demande, qui s’apparente à un service de taxi collectif. » Résultat : un achalandage en hausse de 80 % chez les jeunes et les aînés.

« Les jeunes ne connaissent pas le transport en commun, mais ce sont eux qui vont changer nos habitudes collectives. Au lieu de s’acheter un scooter ou une voiture, ils adoptent notre concept de bus à la demande, qui s’apparente à un service de taxi collectif. » Résultat : un achalandage en hausse de 80 % chez les jeunes et les aînés. »

La mairesse est aussi reconnue pour un autre projet révolutionnaire : une piscine en eaux vives, aménagée dans la rivière Richelieu depuis juillet, bien avant un projet similaire dans le Vieux-Port de Montréal. « Bien des gens m’ont qualifiée de rêveuse, mais on a redonné l’accès à l’eau à nos citoyens en collaboration avec la Fondation Rivières, sans dépenser une fortune. » Le 11 juillet, elle célébrait même un mariage sur le quai de cette piscine.

Enfin, elle a mis en place un parcours patrimonial comprenant une quinzaine de bâtiments. Belœil accompagnera désormais leurs propriétaires dans leurs projets de rénovations. « Il faut pérenniser et faire connaître notre histoire, car le passé est une belle source de créativité. Si l’on veut faire du développement durable, il faut proposer des projets utiles, socialement acceptables, qui doivent aussi améliorer la qualité de vie, créer de la fierté et de l’appartenance. »