Finance durable, capital bienveillant et propriété collective | Fondaction mène la danse

 

17 septembre 2024

À la tête de Fondaction depuis 2020, Geneviève Morin estime que nous vivons présentement une période transformatrice aussi importante que la révolution industrielle. Stéphane Desjardins s’est entretenu avec la présidente de ce fonds de placement axé sur la transformation sociale positive au Québec.

Stéphane Desjardins

« La structure actuelle de l’économie n’est pas soutenable. On le constate avec les changements climatiques, la perte de biodiversité, la pollution, le manque d’équité et d’inclusion, les millions de personnes déplacées souvent mal accueillies à leur destination, et une polarisation sociale accrue. La pression sur la société augmente et l’économie doit se transformer. Pour moi, c’est une occasion à saisir », décrit Geneviève Morin, PDG de Fondaction, un fonds de travailleurs créé en 1995 par la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Tout comme le Fonds de solidarité FTQ, Fondaction canalise l’épargne-retraite de ses 221 000 actionnaires, directement ou par des fonds spécialisés, dans notamment plus de 1 000 PME québécoises, dont un grand nombre sont actives dans des activités dites d’économie sociale. Fondaction a nettement une orientation de « finance durable ».

« Les particuliers sous-estiment leur force de changement, avance Geneviève Morin. Même les petits épargnants exercent une influence par leurs choix dans les véhicules et produits de placement. Les actionnaires de Fondaction détiennent une force de frappe importante dans l’économie. On accélère la transformation sociale. » Dans un contexte où nombre de travailleurs ne disposent plus, comme c’était le cas dans l’économie du siècle dernier, de régimes de retraite à prestations déterminées avec des régimes qui garantissent une rente de retraite établie à l’avance, le rôle de Fondaction est capital. Il permet à de petits épargnants de faire fructifier leurs épargnes dans l’économie bancaire traditionnelle, malgré un contexte défavorable.

Car une majorité de travailleurs qui bénéficient de caisses de retraite disposent plutôt d’un REER collectif ou d’un régime à cotisation déterminée, dont la rente demeure imprévisible. Ces conditions pourraient créer un vide de structure financière et rendre les flux monétaires encore plus imprévisibles. « Les citoyens doivent épargner pour leur retraite, reprend-elle. Sinon, nous aurons de graves problèmes de société. » Disparités de revenus importantes, classe moyenne qui s’appauvrit, crise du logement : tous les éléments sont réunis pour ternir le vivre-ensemble et le pacifisme de la société québécoise.

La structure actuelle de l’économie n’est pas soutenable. On le constate avec les changements climatiques, la perte de biodiversité, la pollution, le manque d’équité et d’inclusion, les millions de personnes déplacées souvent mal accueillies à leur destination, et une polarisation sociale accrue. La pression sur la société augmente et l’économie doit se transformer.

L’économie sociale recèle des solutions pour canaliser les énergies productrices en préservant le climat des agglomérations. « On investit dans les entreprises qui font bien les choses, qui utilisent moins de ressources, qui ont une rémunération plus équitable, qui embauchent dans la diversité, qui prennent un virage environnemental et social. Celles qui se positionneront en conséquence vont naturellement canaliser l’intérêt des marchés », analyse la dirigeante. Ce n’est donc pas la fin du capitalisme ou la décroissance, comme certains l’envisagent. Geneviève Morin parle plutôt de créer de la richesse durable en misant sur des entreprises qui traitent mieux leurs employés et leurs parties prenantes, en misant sur la production locale et sur la sortie progressive du pétrole, de l’auto solo, des aliments surtransformés, par exemple : « On doit produire moins et mieux pour réduire la pression sur les écosystèmes », insiste-t-elle.

« Le PIB ne doit pas être la seule mesure de réussite. Il faut ajouter un ensemble d’indicateurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et être déterminés pour aller dans la bonne direction. Je suis confiante et j’en vois les effets à travers certaines tendances lourdes vers la transformation de l’économie. Évidemment, j’aimerais que ça s’accélère, mais je constate que de plus en plus de capitaux vont dans la bonne direction. » Conséquemment, Fondaction aligne ses investissements sur quatre critères : l’agro-alimentaire durable, la lutte aux changements climatiques, les villes et communautés durables, la santé et le bien-être.

Une majorité de travailleurs qui bénéficient de caisses de retraite disposent plutôt d’un REER collectif ou d’un régime à cotisation déterminée, dont la rente demeure imprévisible. Ces conditions pourraient créer un vide de structure financière et rendre les flux monétaires encore plus imprévisibles. « Les citoyens doivent épargner pour leur retraite, reprend-elle. Sinon, nous aurons de graves problèmes de société. »

Est-ce payant ? « Non seulement nous sommes convaincus de notre approche, mais nos rendements sont tout à fait compétitifs pour un fonds comme le nôtre, sur une période entre cinq et dix ans », ajoute-t-elle. En fait, le rendement annuel composé était de 1,5 % sur 3 ans, 5,9 % sur 5 ans et 5,1 % sur 10 ans. Comparativement, le rendement d’un fonds indiciel basé sur celui de la Bourse canadienne, où le pétrole pèse lourd, aurait dégagé 5,78 % sur 3 ans, 9,25 % sur 5 ans et 7,35 % sur 10 ans. L’actif de Fondaction s’établissait à 3,77 milliards de dollars au 31 mai 2024. Geneviève Morin constate qu’il y a une poussée vers l’investissement durable dans la communauté financière québécoise.

Le virage se présente toutefois avec certains revers : la vente des grandes entreprises québécoises qui passent de l’économie réelle au capital boursier spéculatif. « Même si une entreprise est vendue, l’expertise doit demeurer chez nous, insiste-t-elle. Pour que l’économie se nourrisse, les entreprises doivent aussi devenir des acquéreurs, car cela renforce notre tissu économique. » Lorsqu’une entre-prise est vendue, certains estiment que l’argent versé aux actionnaires permet de réaliser de nouveaux investisse-ments qui bénéficieront au Québec. D’autres considèrent que cet effet est négligeable. Plusieurs dénoncent la perte d’influence lorsqu’un siège social disparaît. Geneviève Morin envisage la question autrement : « Quand les actionnaires sont collectifs, comme un fonds de travailleurs ou une coopérative, l’argent reste au Québec. Une propriété collective prévient souvent la disparition de sièges sociaux. C’est une notion de propriété différente, qui mérite d’être valorisée davantage. L’économie sociale, qui joue déjà un rôle important, est loin d’avoir atteint son plein potentiel. »